Avec des images sobres, un récit somme toute assez linéaire, le réalisateur parvient à planter non seulement un décor mais une ambiance qui ne va pas sans évoquer le cinéma allemand des années 70, de Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleischmann (1969) jusqu’à certains films de R.W. Fassbinder, notamment dans le jeu des personnages, leur côté glacé et leurs visages inoubliables. D’ailleurs, pour incarner le personnage d’Yvonne, Denis Dercourt est allé chercher un grande star berlinoise du théâtre, Sophie Rois, émule de la Volkbühne, cette scène bien connue de Berlin Est, comme si l’Allemagne de l’Est ne voulait pas mourir. Nulle Ostalgie toutefois dans ce film, mais au contraire une métaphore sur la Banque et le capitalisme qui manipulent, sur les chefs qui broient et détruisent tout sur leur passage, comme une maladie, comme un vampirisme qui nous ramène encore et toujours au cinéma expressionniste.
L’idée est séduisante car, autour de ces fausses retrouvailles, quelque 17 ans après, entre camarades de classe, bernés, manipulés ou blessés, il y a quelque chose de l’Allemagne que le réalisateur a bien compris, à la manière du film de Volker Schlöndorff réalisé en 1966, Les désarrois de l’élève Törless. Sauf qu’ici, pas de brimades ni de tortures, les séquences dans les années 80 sont très courtes, et tout se passe de nos jours dans la macération de vengeances qui, bien sûr, se dégustent froides, et nous plongent dans une sorte de paranoïa qui sied bien à notre époque troublée.
En réalisant cette sorte de thriller, à la manière d’un Dominik Moll qui nous avait séduits il y a quelques années avec son Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), ou d’un Hitchcock germanique, amateur de musique et de belles maisons vouées à la ruine comme dans La chute de la maison Usher de Roger Corman (1960), Denis Dercourt va très loin dans l’exploration de l’âme humaine, même s’il ne nous apprend pas grand-chose, et s’il dénonce parfois des travers qui confinent un peu à la caricature. Mais une sorte de grâce sauve tout du long son film de la banalité et du ridicule. Et ce n’est pas peu dire qu’il n’a peur de rien et surfe obstinément et sans répit sur ce danger.