PIFFF 2012 : du genre qu´on n’oublie pas

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Du suspense, des frissons, des films cultes, inclassables ou complètement fous : le PIFFF a marqué les esprits dès sa 2e édition, permettant à cet antre du fantastique parisien de gagner un public fidèle et réjoui.

L’équipe organisatrice du PIFFF, ou Paris international Fantastic Film Festival, épaulée par celle du magazine Mad Movies, a une fois de plus rempli son pari : amener dans les salles parisiennes un public passionné de cinéma fantastique, et présenter dans des conditions idéales (les grandes salles du Gaumont Opéra, aux couleurs du festival durant dix jours) des films le plus souvent interdits de projections publiques. Ainsi, près de 9 000 spectateurs ont répondu présents à la trentaine de séances organisées entre le 16 et le 25 novembre, soit près de 300 paires d’yeux (souvent de plus en plus épuisées) par film. Un bilan positif de plus pour Cyril Despontin, maître d’œuvre de cette manifestation à la fois détendue et très pro dans son organisation, et pour les partenaires – tous privés – de l’évènement.

Ce public assidu avait de toute manière toutes les raisons de se réjouir : malgré l’absence de véritable chef-d’œuvre ou de révélation médiatique (le meilleur film du lot, Citadel, de Ciaran Foy, avait déjà été présenté à l’Étrange Festival), la sélection 2012 s’est avérée solide, fournissant même son quota de « projections cultes », le genre de celles où communient des cinéphages heureux de partager un instant unique, soit parce que le film découvert se révèle totalement fou/autre/excellent, soit parce qu’il s’agit de la seule opportunité de voir un film en particulier sur grand écran. À l’heure de la VOD à tout crin et des films à voir sur les 7 cm de diagonale des smartphones, regarder, par exemple, Universal Soldier 4 (John Hyams) sur un écran large a quelque chose d’un acte militant !

 
 
Zapping en salles obscures
 
 
The ABCs of Death de Kaare Andrews et Angela Bettis
 
 
Militantisme, c’est le terme qu’a employé le jury international (uniquement composé de réalisateurs français de films de genre) pour décrire le festival et son public, fidèle au PIFFF durant dix jours, et à cette notion de faire vivre, dans le cadre d’un festival, des genres commercialement moribonds en France. On ne sait par exemple pas quand sortira ici le film d’ouverture John Dies at the End, malgré l’aura dont bénéficie son réalisateur Don Coscarelli (Phantasm, 1981 ; Bubba Ho-Tep, 2002). Trip fantastique débordant d’idées complètement folles, condensant un univers littéraire en une centaine de minutes gentiment foutraques, John Dies at the End rappelle l’âge d’or du fantastique des années 80, et permet de se repaître, dans des rôles savoureux, des prestations d’acteurs aussi diverses que Paul Giamatti ou Clancy Brown, entourant deux espèces de Bill et Ted de la Quatrième dimension (Rod Serling, 1959-1964) projetés dans une aventure à travers le temps et l’espace, à laquelle ils ne comprennent rien.

Même exil garanti pour la compilation Trailer War, bout-à-bout de bandes annonces kitschissimes des seventies et eighties, ressemblant à un best of tarantinesque de l’annuaire en ligne Nanarland.com. Fatiguant au bout d’un moment, mais tout de même délicieux.

Le format court était d’ailleurs à l’honneur dans cette édition, pour laquelle la traditionnel), le compétition des courts métrages (où a triomphé le très drôle et énergique Nostalgic Z de Karl Bouteiller), avait sélectionné pas moins de quatre films omnibus. De ces films à sketches, on retiendra surtout le gargantuesque ABCs of Death (Kaare Andrews et Angela Bettis), un assemblage de 26 (!) petites histoires macabres représentant presque autant de nationalités. Une sorte de Contes de la crypte (William M. Gaines, 1989-1996) dérivatif où le pire et le hors-sujet côtoient le fulgurant et le très imaginatif. Un peu bourratif, mais plein d’énergie, plus que dans le Coréen Doomsday Book (Kim Jee-Woon et Yim Pil-Sung), qui peine à trouver sa cohérence en enchaînant trois moyens métrages ayant pour thème la fin du monde. Le manque de moyens et de cohérence se font sentir, les scénarii ont trop peu d’intérêt pour justifier l’existence même du film. Enfin, malgré le prestige tout relatif de ses réalisateurs et un buzz savamment entretenu, l’irregardable V/H/S (Ti West et Adam Wingard), avec ses skeches remplis de vide, filmés à la truelle par des borgnes manchots, achèvera les derniers défenseurs du sous-genre à la mode, le found footage.

 
 
Le petit monde de la série B expérimentale
 
 
Universal Soldier : Day of Reckoning de John Hyams

Dans le genre « petits plaisirs oubliés », l’Irlandais Stitches (Conor McMahon) jouait sur la nostalgie des vieux slashers à base de latex et de sang coagulé, pour imposer son personnage de clown sadique, revenu d’entre les morts pour éliminer les ex-mômes qui l’avaient envoyé ad patres. La tentative inspire la sympathie, beaucoup moins la clémence, vu le manque de rythme et d’énergie criant du résultat, qui frise à plusieurs reprises l’amateurisme pur et simple. Plaisir coupable lui aussi tout à fait assumé, Universal Soldier : Day of Reckoning a surpris son monde par son côté complètement expérimental. Qui eut crû qu’on puisse voir un jour un direct-to-video, qui plus est un nouvel opus d’une saga moribonde avec trois Expendables (Sylvester Stallone, 2010) au casting, prenant tout d’un coup la forme d’un thriller morbide sous influence de Gaspar Noé et David Lynch avec une certaine action star belge rejouant la fin d’Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979) avec la même tête que Marlon Brando ? Personne, et c’est bien ce qui rend ce projet non identifié aussi fascinant, même malgré ses défauts d’interprétation (logique) et son budget visiblement très serré (logique aussi).

Chose étrange, le PIFFF proposait au sein de sa compétition de nombreux films n’ayant rien de fantastique dans leur approche, et tenant plus du thriller à suspense, avec option débordements sanglants pour justifier une présentation devant un public adepte des sensations fortes. Peu de chocs toutefois sont à attendre du trop timide In Their Skin (Jeremy Power Regimbal), dernier avatar d’un sous-genre encombré : « l’invasion domestique ». Un univers très codé, car placé sous le haut patronage de classiques ayant déjà tout dit ou presque sur la question, Les Chiens de paille (1971) de Sam Peckinpah et Funny Games (1998) de Michael Haneke en tête. Pas de surprises donc dans cette histoire de famille bourgeoise en deuil qui se retrouve bientôt séquestrée par une autre famille de vagabonds un brin sociopathes, bien décidés à les « remplacer » pour de bon pour goûter à la belle vie.

De même, l’Américain Crave (Charles de Lauzirika) joue dans la cour risquée du sous-Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), avec une fable urbaine sur le lent (très lent) déclin psychologique d’un photographe de scènes de crimes, dont les fantasmes de puissance contrecarrent une lâcheté et un égocentrisme maladifs. Un personnage assez antipathique donc, qui ne deviendra jamais un nouveau Travis Bickle, car trop engoncé dans sa médiocrité pour se « sublimer ». Un film en demi-teinte, plastiquement sublime, mais qui cumule quelques tares typiques d’un premier long n’allant pas assez à l’essentiel.

 
 
Classiques, et pourtant…

 
 

Dragon Gate, la légende des sabres volants, 3D de Tsui Hark

Plus remarqué (et de fait, il a remporté à la fois le grand prix du jury et le prix de la chaîne Ciné+ Frisson), The Body (Oriol Paulo) a permis, une fois de plus, de faire briller l’Espagne, pourvoyeur inépuisable de nouveaux talents ayant tout compris au cinéma de genre. Point d’enfants fantômes cette fois, mais un pur suspense à twist final, que son réalisateur place lui-même sous le patronage de Hitchcock et Clouzot, clins d’œil visuels à l’appui. Un corps disparaît d’une morgue pendant une nuit d’orage et l’inspecteur en charge de l’enquête en vient à suspecter le veuf, qui de fait a préparé l’assassinat de sa femme avec sa maîtresse. Du classique séminal, en apparence, mais qui sous la plume du cinéaste-scénariste Oriol Paulo, devient un jeu de dupes plein d’assurance malgré des facilités et quelques effets trop appuyés. Un thriller diabolique qu’on attendait pas aussi retors.

Last but not least, le vétéran du cinéma HK, le maître Tsui Hark s’est montré à son avantage avec la projection unique (le film est prévu pour sortir en Blu-ray en mars prochain) de son dernier opus, Dragon Gate : la légende des sabres volants, 3D, un wu xia pian (film de capes et d’épées chinois) virevoltant où la star Jet Li est mise de côté au profit d’un tourbillonnant chassé-croisé de personnages coincés dans une auberge sous la menace d’une tornade. Malgré des effets spéciaux perfectibles et une fin abrupte, le spectacle est aussi grisant que rafraîchissant.

On termine ce bilan forcément incomplet (comment voulez-vous tout voir ?) en n’oubliant pas de mentionner la nuit Clive Barker, qui a permis à une salle surmotivée de découvrir à la fois la version « director’s cut » (avec intégration d’images de VHS) du film maudit Cabal (1990), les deux premiers opus de la saga Hellraiser (Clive Barker, 1987 ; Tony Randel, 1988) et le classique des années 90 Candyman (Bernard Rose, 1992). Un programme d’exception au parfum puissamment nostalgique, dont chaque participant est ressorti le sourire aux lèvres, et avec la ferme envie de réserver ses places pour l’édition 2013.

Palmarès longs métrages

Prix du Jury de la compétition internationale
The Body (El cuerpo) d’Oriol Paulo

Mention spéciale du jury
The Cleaner (El limpiador) d’Adrian Saba

Prix Ciné+ Frisson
The Body (El Cuerpo) d’Oriol Paulo

Prix du public
Citadel de Ciaran Foy

Palmarès courts métrages

Prix du jury de la compétition internationale
Exit de Daniel Zimbler

Grand Prix du court métrage français
Nostalgic Z de Karl Bouteiller

Prix spécial du jury
Food Elle de Corentin Quiniou

Prix Ciné+ Frisson
Nostalgic Z de Karl Bouteiller

Prix du public (français)
Nostalgic Z de Karl Bouteiller

Prix du public (international
Record/Play de Jesse Atlas


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