Pierre Etaix en coffret 5 DVD chez Arte éditions

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Suite logique du retour en force de Pierre Etaix, après plus de vingt ans d´absence, dans l´actualité cinématographique de ces derniers mois : Arte éditions sort l´intégrale de ses films en DVD. A voir d´urgence !

Voilà, c’est fait. La boucle est bouclée. Après que le Tribunal de Grande instance de Paris lui a donné raison, tout est allé très vite pour Pierre Etaix : la restauration de ses films menacés de destruction, une présentation à Cannes 2010 de son premier film couleur Le Grand Amour, une rétrospective en juillet, et un coffret DVD réunissant tous ses films, sortant le 3 novembre 2010. Il était temps qu’on en profite un peu, nous cinéphiles et amateurs de slapstick privés pendant vingt ans de cette filmographie précieuse.

Qu’il Etaix beau

A la différence de Hulot, (silhouette qu’il a contribué à inventer, voir article précédent) ou Charlot, Pierre Etaix n’incarne pas un rôle récurrent, se rapprochant davantage d’un Buster Keaton multi casquettes : « Je ne voulais pas être prisonnier. Keaton a toujours été mon modèle, capable d’incarner un vagabond ou un nanti tout en restant Keaton ». Pourquoi ne porter qu’un seul costume quand on peut les enfiler tous ? Etaix est donc tour à tour amoureux transi, aristocrate esseulé, clown, petit bourgeois qui s’ennuie, campeur, chasseur, etc. Un seul point commun : l’élégance, que Pierre Etaix emprunte à Max Linder (à qui il rend ouvertement hommage dans Yoyo), un autre grand maître de son panthéon personnel*. Déambulant sa silhouette fine et son visage particulièrement cinégénique, son complet-veston, son chapeau et son parapluie, Etaix oscille entre les zigzags et approximations des gestes des premiers films (les excellents La Rupture et Le Soupirant) et l’extrême précision du geste comique des films suivants (les nombreux plans sur l’habileté des mains d’Etaix qu’il tient de son passé de magicien, la juste mesure des pas, comme ceux du père de Yoyo arpentant les différentes pièces de son château) et finalement du « geste » cinématographique.

Il ne fait aucun doute que Pierre Etaix savait utiliser le médium cinématographique (on remarque chez lui un sens aigu de la lumière et du contraste rendant ses images très graphiques), dont les différents usages sont eux-mêmes générateurs de gags. C’est souvent en découvrant ce qui se passe hors-champ par un zoom arrière de la caméra – par l’effet de surprise donc – que le gag opère. Etaix joue également des interactions de la voix off et de l’image. Ainsi une scène cocasse où le narrateur en off ne se souvenant plus s’il avait rencontré sa future femme en terrasse ou à l’intérieur d’un café, rend chèvre le serveur qui ne sait plus où servir sa commande… C’est aussi le passage d’un état à un autre sans cut, dans un même panoramique, requérant de la part d’Etaix une vitesse d’exécution du gag admirable : dans Le Soupirant par exemple, Etaix danse un tango en compagnie d’une belle blonde puis les danseurs sortent du champ et la caméra laisse découvrir dans un miroir sa réelle partenaire : une plante verte (belle analogie !). Etaix est aussi très coutumier de la parodie, s’inscrivant dans la droite lignée du burlesque (dont les meilleurs exemples restent Le Dictateur de Chaplin et La Soupe au canard avec les Marx Brothers). Tant qu’on a la santé offre un florilège de fausses publicités détonantes, ou dans Yoyo, on assiste à une scène d’effeuillage de chaussure quasi pornographique, et pastiche des pastiches, Hitler se met à imiter Charlot !

 

Tant qu’on a la santé
« Du rythme, du rythme, et encore du rythme ! » disait Hitchcock. Et une comédie slapstick réussie repose sur une bonne gestion du rythme. Le montage chez Etaix est particulièrement travaillé (on apprend qu’il est défini presque image par image dès l’écriture du scénario). De ce point de vue, les trois courts métrages Heureux anniversaire (Oscar du meilleur court métrage en 1963), En pleine forme et La Rupture, et le long métrage Le Soupirant, sont des plus réussis, tenant de bout en bout un enchaînement de scènes et de gags avec la précision d’une horloge suisse.

Moins qu’un univers comme on parle du « Monde de Tati », Pierre Etaix apporte à son oeuvre l’idée de troupe, notion plus proche de son rapport au spectacle vivant (en atteste le salut final de Nous n’irons plus au bois, dernier des quatre sketchs de Tant qu’on a la santé). Cette troupe est formée de Denise Peronne qui habite de sa voix haut perchée la filmographie d’Etaix, incarnant la parfaite petite bourgeoise (elle est l’excellente Melle Février dans Mon Oncle de Tati) ; Claude Massot qui promène sa bonhomie de film en film, usant de subterfuges hilarants pour s’envoyer une petite bouffée de pipe ou une gorgée d’apéritif dans Le Soupirant ; Roger Trapp, l’éternel beauf/loser (sans compter les différentes apparitions grimées de Jean-Claude Carrière). Ce sont des personnages débonnaires ou franchouillards, des petits moustachus ou des mégères chapeautées, autant de français moyens dirait-on, offrant de la France une vision quelque peu datée.

Liberté, je filme ton nom

Les films de Pierre Etaix s’appuient sur une base scénaristique extrêmement simple (en atteste la brièveté des synopsis) qui prend sa source dans le quotidien. Le couple en est le principal véhicule : un homme se fait jeter par courrier dans Rupture, un autre voudrait tromper sa femme dans Le Grand Amour, encore un autre homme cherche à se marier sans y parvenir dans Le Soupirant, etc. C’est par ce motif qu’Etaix amorce une réflexion sur la société en général et son lot de contraintes et de concessions. La figure de l’épouse en prend d’ailleurs pour son grade : dans Insomnie, elle est un vampire caché, dans Le Grand Amour, Florence (Annie Fratellini, alors épouse d’Etaix), bien que mignonne et attentionnée, est montrée planplan, incapable de couper le cordon ombilicale (renforcé par un mimétisme entre la mère et la fille qui fait l’objet de plusieurs gags), ce qui en fait une cliente parfaite pour l’adultère !

Pierre Etaix montre la difficulté des individus à s’écarter d’une ligne de vie imposée par les codes sociétaux, familiaux, etc. Il fait donc souffler un vent de liberté (et de subversion) sur ses films. Ses personnages prennent ou voudraient prendre la tangente. Dans un camping (En pleine forme), montré comme une prison, avec ses fils barbelés et ses visites au parloir, des enfants, tels les évadés d’Alcatraz, creusent un trou à l’intérieur de leur tente afin d’échapper à un tyran au sifflet strident, sans y parvenir. Mais c’est par ce trou que le campeur Etaix prendra la poudre d’escampette pour retrouver les joies de la liberté. Le couple que forment Pierre et Florence dans Le Grand Amour est montré dans tout ce qu’il a de plus froid et pousse-au-crime : dans leur chambre capitonnée, d’un côté le lit de madame et de l’autre celui de monsieur qui rêve d’Agnès, sa secrétaire et s’évade  sur les routes de France, avec elle sur son lit roulant, dans une séquence complètement hallucinante. De même que les parents circassiens de Yoyo préfèrent ne pas assister aux mondanités du clown devenu vedette pour continuer à sillonner les routes en roulotte dans Yoyo.

Yoyo

Le monde du spectacle est pour le réalisateur le symbole absolu de cette liberté. C’est en retrouvant les accessoires qui firent sa gloire de clown que Yoyo décide d’échapper aux pique-assiettes et pas par n’importe quel moyen : à dos d’éléphant, comme dans un rêve d’enfant. Chez Etaix, la liberté, c’est le rêve et le rêve, c’est le cirque. Circassien lui-même, Etaix multiplie les hommages au cirque ou au music hall. Une scène mémorable du Soupirant se déroule dans les coulisses d’un spectacle. Etaix inverse les rapports et fait de son soupirant maladroit une bête de foire, un phénomène de cirque parmi les artistes qui se demandent qui est ce drôle de zozo (entre autres maladresses, Etaix joue son fameux tour de la chaise qui se démembre). Anthologique. Yoyo exprime quant à lui tout l’amour d’Etaix pour le monde du cirque. Comme pour Le Soupirant, il n’en montre que les coulisses, jugeant qu’un spectacle de cirque se vit et ne se filme pas. On remarquera le clin d’œil qu’il rend à Fellini et à La Strada : au détour d’une place de village, se trouvent la moto de Zampano et l’écriteau « Ce soir, Zampano et Gelsomina à 8h ½ ».

À travers ses films, Pierre Etaix a offert une quantité de trouvailles désopilantes, d’idées brillantes et d’expérimentations filmiques souvent. Mais si l’on considère sa filmographie d’un point de vue chronologique, on peut noter une progression certaine de son propos vers une critique de plus en plus acerbe de la société. Elle a d’abord servi des propositions comiques comme dans Le Cinématographe (métaphore de la difficulté à trouver une place parmi ses congénères, l’avènement de la société de consommation), Tant qu’on a la santé (la frénésie de la société moderne, la pollution sonore du quotidien) ou Le Grand Amour (difficulté à s’extraire des codes imposés par la société), pour basculer vers une certaine violence du discours dans son dernier film, Pays de Cocagne, documentaire grinçant qui reste une énigme dans son parcours cinématographique. Pierre Etaix y croque au sens propre comme au figuré les français dans les années 1970 (d’aucuns lui reprochent une misanthropie latente dans ses films burlesques et patente dans Pays de Cocagne) qui vient fragiliser un ensemble jusque-là cohérent. Difficile de faire rire en montrant le français moyen étaler sans pudeur sa chair au soleil, faire des concours de Vache qui rit pour gagner des t-shirts Europe 1. Si tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, tout comique vit aux dépens de celui qui le regarde. Pierre Etaix a tendu « un miroir aux gens et ils n’ont pas aimé se voir dedans »**. Pays de Cocagne a signé l’arrêt du cinéma pour Etaix. Le film possède néanmoins des qualités humoristiques indéniables : un langage d’un autre temps énoncé par une jeunesse elle aussi d’un autre temps, des répliques qu’on n’aurait pu écrire, des personnages (car le montage semble avoir été fait pour en créer de véritables) qui reviennent tout au long du film et des associations d’images assez drôles (l’affiche de Georges Pompidou au milieu d’une publicité pour de la lingerie féminine).

 

Bonus

Comme le montre le documentaire de trente minutes qui lui est consacré dans le dvd du Grand Amour et réalisé par Odile Etaix, son épouse, l’enthousiasme d’Etaix reste intact. À 82 ans, sans doute ragaillardi par l’accueil chaleureux, public et critique, de ses films depuis juillet 2010, il poursuit les séances de travail avec son acolyte de toujours, Jean-Claude Carrière, continue à dessiner et à imaginer des saynètes et des personnages.

Un beau livret accompagne également cette édition, contenant des documents d’archive (dont une rédaction d’Etaix en classe de 5e datant de 1940 particulièrement émouvante où il répondait à la question « Que voulez-vous faire plus tard ?», on laisse deviner la réponse…), photos, dessins, sculptures et textes d’Etaix.

Un petit regret demeure quant au contenu global des bonus, relativement faible : excepté le beau documentaire précité s’ouvrant sur la loge d’Etaix en pleine séance de grimage avant de remonter sur scène pour reprendre le rôle du clown Yoyo en 2010, manque à cette édition intégrale un point de vue critique sur la filmographie de Pierre Etaix, sur les caractéristiques de son cinéma (Jean-Claude Carrière en décrit seulement les grandes lignes), analysant les ressorts comiques, sa filiation avec les autres grands burlesques, etc.


Extraits de films

Le Grand Amour (1969)


Yoyo (1964)

* Pierre Etaix a publié un magnifique ouvrage de photographies rendant hommage aux comiques qui l’ont marqué, intitulé Clowns au cinéma. En tirage limité, le livre est consultable à l’espace chercheur de la Bibliothèque du film (Cinémathèque française) sur rendez-vous.

** Citation de Philippe Noiret défendant Marco Ferreri et son controversé La Grande Bouffe à Cannes.
 


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