Ce film tombe à pic en ces temps troublés, surtout par le politiquement correct et la bien-pensance, illustrée récemment par l’affaire Nadine Morano qui a osé parler de race blanche en soulevant un tollé qui, s’il est justifié sur le plan idéologique, peut paraître hypocrite si l’on tient compte du fait que le racisme n’est pas seulement à sens unique et qu’il existe dans les banlieues un ostracisme dû à la prééminence d’une appartenance supposée ou idéalisée à un pays lointain que certains ne connaissent même pas. Le Blanc, dans ces quartiers, est souvent assimilé à la bourgeoisie, à la domination de l’État et à la ségrégation, voire au colonialisme et l’esclavagisme. Toutes ces notions, même si elles existent, sont quelquefois amplifiées par des médias ou des partis politiques qui tirent avantage à opposer les communautés pour pouvoir tenter de les instrumentaliser. Chercher son identité à partir de son pays d’origine est quelque chose de profondément humain, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des personnes qui tentent de cohabiter. L’idéal serait d’aboutir à une entente entre toutes ces identités différentes : il existe des banlieues où ne cohabitent pas moins de vingt-six nationalités en plus de la nationalité française ! Y vivre sans problème est bien sûr une pure utopie. À la différence de la Palme d’or 2015, Dheepan de Jacques Audiard, qui semble faire de la banlieue une sorte de zone de non-droit livrée à la violence et au trafic de drogue, Cheyenne Marie Carron nous parle plutôt d’un malaise diffus en décrivant finalement l’histoire de deux familles qui pourraient très bien s’entendre, une famille blanche française et une famille camerounaise partagée entre la vie en France et l’idéalisation du pays d’origine, tant et si bien que Pierre, l’ami noir de Sébastien, finira par y retourner.

En référence à l’Évangile selon Saint Matthieu (6:21), Cheyenne Marie Carron récemment convertie au catholicisme met en exergue cette belle phrase : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Il est difficile de savoir actuellement où se trouve son cœur, tant le monde est bouleversé et bouleversant. Il fallait en effet un certain courage pour aborder ce sujet au lieu de se cacher derrière des faux semblants comme le font certains hommes politiques, en aboutissant au résultat inverse à celui escompté en taisant les problèmes interraciaux : « J’ai constaté que beaucoup de magnifiques films ont été faits en dénonçant le racisme contre les Noirs, constate Cheyenne Marie Carron dans le dossier de presse, je pense à Imitation of Life, 12 years a slave ou Dear white people, mais je n’ai jamais vu de films sur le racisme anti-Blanc. Alors j’ai eu envie de corriger cela. Mais, avant de parler de racisme, Patries est surtout un film qui parle de différentes quêtes liées à l’identité. » C’est sans doute pourquoi le mot patrie est au pluriel dans le titre, pour bien insister sur le fait que le monde actuel est constitué d’hommes venant de différentes patries, chacun optant pour la sienne, réelle ou fantasmée. Malgré un happy end un peu trop appuyé, la réalisatrice réussit son pari : faire un film courageux, sans parti-pris qui montre les problèmes d’identité sans vouloir à tout prix stigmatiser l’une ou l’autre des parties- c’est ce qui fait sa force et son charme.