Des souvenirs situés dans l’époque actuelle
Après quelques courts-métrages et des études de cinéma aux USA, George Sikharulidze réalise son premier long-métrage, Panopticon en 2024, dont le scénario a été développé à la Résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes, ainsi qu’au Torino Script Lab 2019 et au Torino Feature Lab 2020. Il a enseigné l’écriture de scénario et la réalisation à l’Université de New York et à l’Université Columbia et il est actuellement professeur associé de cinéma à l’Université de Notre Dame. Géorgien, il nous livre ici des portraits de son pays et des gens qui y vivent et on peut dire sans se tromper qu’il s’agit d’un petit chef-d’œuvre marqué par l’œuvre de François Truffaut puisque Les Quatre-cents coups sont cités par un extrait à la télé, et la Nouvelle Vague en conséquence. Du reste, même si ce n’est pas voulu évidemment, le jeune garçon qui interprète Sandro ressemble étrangement à Louis Garrel… Depuis sa séparation du monde socialiste à la chute de l’empire soviétique dont il dépendait jusque dans les années 1990, alors que le réalisateur était encore enfant, le pays est devenu vraiment très chrétien et connaît une vague prévisible de nationalisme. C’est pour cette raison qu’il a préféré situer ses souvenirs personnels dans la Géorgie actuelle et non dans celle qu’il connaissait pendant sa jeunesse. Il le résume fort bien dans l’entretien accordé dans le dossier de presse du film : « Bref, pour toutes ces raisons, j’ai situé mes propres souvenirs dans l’époque actuelle. »


Dieu, l’amour et les tabous
Panopticon raconte l’histoire de Sandro alors que sa mère vit aux États-Unis et que son père a décidé de devenir moine orthodoxe. L’adolescent introverti se retrouve alors livré à lui-même. Il se débat au quotidien pour faire coexister son devoir envers Dieu, son besoin d’amour et son idée de la virilité… Mais comment trouver sa place quand on est sans repère dans une Géorgie post-soviétique à la fois si turbulente et pieuse ? À ce sujet, le réalisateur raconte que la Géorgie connaît depuis quelques années la démission des pères car, depuis depuis la chute de l’empire soviétique, ce sont les femmes qui tiennent le pays, elles qui ont eu le courage de s’expatrier, comme la mère de Sandro, pour faire vivre leur famille. C’est pourquoi le film est construit autour de quatre femmes, alors que le père de Sandro est, quant à lui, plutôt présent absent. Ces femmes sont la mère, nourricière ; la grand-mère (tout comme la petite amie de Sandro) une sainte, donc intouchable et, enfin, Lana étudiante qui danse dans un night-club pour subvenir aux besoins de son père et que Sandro classe dans la catégorie des prostituées. Et au-dessus de toutes ces femmes, il y a la mère de Lasha, Natalia, coiffeuse et que Sandro rencontre par hasard et à qui il demande de lui couper les cheveux courts dans une scène très érotique et très chaste en même temps. De cette séquence, le réalisateur propose l’analyse suivante : « C’est la relation la plus complexe du film et celle qui m’intéresse le plus. C’est une relation amicale, mais ce n’en est pas une ; c’est une relation mère-fils, mais ce n’en est pas une ; c’est une relation sexuelle, mais ce n’en est pas une ; c’est une romance, mais ce n’en est pas une non plus. C’est donc le type de relation pour lequel nous n’avons pas de catégories, que l’on ne peut pas nommer avec le langage. Et c’est généralement ce qui est le plus intéressant dans un film, non ? »

Surveiller et punir de Michel Foucault
Quant au titre, il évoque à première vue le Christ Pantocrator des orthodoxes, mais seulement fugitivement puisqu’il s’agit aussi d’un film très religieux. Mais c’est surtout, en souvenir du texte de Michel Foucault, Surveiller et punir, dans lequel le philosophe analyse le projet de panoptique de Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle, lequel avait conçu une prison où la tour de contrôle était au centre si bien que les prisonniers se sentaient observés en permanence. De cette conception, Michel Foucault avait écrit : « la visibilité est un piège » et c’est un peu la même situation pour un croyant car, ainsi que le dit le père de Sandro au moment où il entre au monastère dont il ne pourra plus sortir : « Je vais aller au monastère, mais Dieu regarde tout ce que tu fais, tu dois être un bon garçon, tu dois prier ». C’est bien sûr aussi une façon d’ériger une sorte de tour pour surveiller Sandro.





