Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno – Tonino Valerii, 1973)

Article écrit par

Nous sommes en 1973, le western classique est enterré depuis belle lurette et les amateurs du genre ont désormais le choix entre des oeuvres politiquement engagées, reflets de la contestation anti-Vietnam et des réalisations italiennes qui évacuent complètément tout héroïsme.

Au tournant du 20ème siècle, Jack Beauregard (Henry Fonda), héros vieillissant de la conquête de l’Ouest, n’a qu’un seul souhait: prendre sa retraite et couler des jours tranquilles en Europe. En route pour la Nouvelle-Orléans et son transatlantique, il croise en chemin Personne (Terence Hill), un jeune admirateur qui tente de le convaincre de faire un dernier coup d’éclat : éradiquer la horde sauvage (150 as de la gachette tout de même) afin d’entrer définitivement dans la légende, et accessoirement, dans les livres d’histoire.
 
Film réalisé conjointement par Tonino Valerii et Sergio Leone, Mon nom est personne est une drôle d’oeuvre hybride, entre clins d’oeil aux codes leoniens (la scène d’ouverture chez le barbier) et une bouffonerie inédite pour un film du maître du western baroque mais plutôt en vogue à cette époque (on pense à la série des Trinita d’Enzo Barboni, avec le même Terence Hill). 
De la manière de Sergio Leone, Mon nom est personne retient l’usage de longs plans-séquences, les paysages grandioses, les dialogues qui font mouche et une bande-son signée Ennio Morricone, forcément inoubliable, bien que dans des thèmes bien plus légers et fantasques qu’à l’accoutumée (la parodie de La Chevauchée des Walkyries est un monument). Pourtant, le personnage de Terence Hill semble incarner la rupture avec un genre né avec le cinéma lui-même -en 1903, The Great Train Robbery d’Edwin S. Porter est non seulement le premier western mais aussi l’un des premiers montages narratifs) : bavard et démonstratif, Personne argumente plus qu’il n’agit tandis que face à lui, Jack Beauregard se contente de petites phrases lapidaires, dans la grande tradition d’un Blondie (Clint Eastwood dans la trilogie du dollar). 
S’agit-il de réduire Mon nom est personne à une métaphore sur l’assassinat du western classique américain par le western spaghetti made in Italie ? De fait, l’italien Mario Girotti (alias Terence Hill) est l’instrument de la disparition de l’icône Henry Fonda. Il en fait en tout cas de l’histoire ancienne, consultable dans des livres illustrés tandis que Jack Beauregard, incidemment, s’exile sur le vieux continent. Enfin, le nom de Sam Peckinpah, l’autre héraut du western esthétisant, apparaît sur l’une des tombes du cimetière que visitent Beauregard et Personne.

Si l’on replace le film dans son contexte, 1973 marque non seulement la fin de l’époque glorieuse du surwestern ("un western qui aurait honte de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire d’ordre esthétique, sociologique, moral, psychologique, érotique" selon André Bazin) dont L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford) fut l’un des plus beaux avatars mais aussi l’essouflement du western spaghetti qui dévie de plus en plus vers la farce burlesque et tourne de plus en plus en dérision la mythologie de l’Ouest.

Film-hommage peut-être, film synthèse sans aucun doute, on regrettera seulement l’aspect lourdingue de l’interprétation de Terence Hill, toute de grimaces et de pantalonnades. Difficile de réfréner un petit pincement au coeur lorsqu’ en Italie, on filme des pitreries quand l’histoire du cinéma dépasse la légende du genre.

Titre original : Il Mio nome e Nessuno

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 115 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…