Mobile Film Festival : demain, tous réalisateurs ?

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Un portable, une minute un film. Ainsi se présente le Mobile Film Festival, dont la 6e édition rendra son verdict demain à Paris. Pendant ce temps, le Coréen Park Chan-Wook sort un court métrage d’une demi-heure entièrement tourné sur I-Phone. Le mobile apporte sa touche de révolution au cinéma.

En 2010, Rubber tentait de trouver une nouvelle forme de langage cinématographique à l’aide d’un appareil photo. "Singer une réalisation en 35 mm aurait été absurde. D’accord, le Canon est une caméra, mais c’est avant tout un appareil photo. Il faut s’adapter à des possibilités différentes, nouvelles et parfois limitées", résumait le réalisateur, Quentin Dupieux. Et de vanter, par ailleurs, le côté pratique et économique de l’appareil photo. "Sur un tournage traditionnel, la caméra est un objet austère et très contraignant. Tu dois t’adresser à des dizaines de personnes avant de pouvoir filmer. Avec l’appareil photo, je pouvais me permettre de filmer un coucher de soleil juste parce que je trouvais la lumière belle. J’avais vraiment l’impression de réinventer quelque chose, c’est une sensation vraiment grisante."

Encore plus vite, encore plus économique, et encore plus petit qu’un appareil photo : Park Chan-Wook (Old Boy), a présenté en janvier un court métrage de trente minutes… tourné avec un I-Phone. "Les nouvelles technologies sont souvent sources de merveilles et de fonctions utiles. Les essayer fait partie du jeu." expliquait le réalisateur lors de la présentation de son film à la presse. "C’était une expérience très différente de celle de tourner un film traditionnel."   Actuellement diffusé en Corée du Sud mais pas encore en France, Night Fishing apparaît, au vu de son teaser, d’une remarquable qualité d’image. Tourné à deux caméras (pardon, deux téléphones portables), le film ne semble pas être un délire artisanal pour autant. Storyboard, éclairage artificiel, perche son, montage : le tournage n’a pas du beaucoup changer entre ce film et un film traditionnel, témoin le making of (lui-même tourné au portable).  Dans sa présentation, Park Chan-Wook ne manquait pas d’affirmer que "ce sont l’histoire et les acteurs sur l’écran qui sont le plus importants."  Manière de rappeler que, si un portable peut permettre aux réalisateurs en herbe d’effectuer leurs armes sans barrières économiques, la technologie ne suffit pas à faire un bon cinéaste. 

Malgré cela,  la qualité croissante des vidéos de portables, qui s’ornent de plus en plus du sigle HD, ouvre la porte à une démocratisation.  C’est un fait : l’image est devenue omniprésente. Plus rien ne lui échappe. A tel point que ce n’est (presque) plus choquant de voir des films tournés par des amateurs envahir les JT d’informations. Il y a une certaine logique, au fond, à ce que la fiction emprunte cette voie à son tour. Crée en 2005, le Mobile Film Festival a un peu fait office de défricheur. Cinquante courts métrages d’une minute, visibles sur le site du festival, concourent face à un jury composé de professionnels. Cette année, ils ont pour nom Philippe Claudel (président, il succède à Tonie Marshall) ou François Begaudeau. Pour son créateur, Bruno Smadja, le festival a avant tout pour vocation de faire émerger de nouveaux artistes.

Bruno Smadja : "Chaque révolution technologique est une révolution créative"
Il y a six ans de cela, au moment de la création du festival, on a dû vous prendre pour des illuminés, non ?

Oui et c’était plutôt marrant. Les gens nous disaient : monsieur, ici on s’occupe de cinéma… Mais on était profondément convaincu et têtu !

Comment est née cette idée ?

L’apparition des caméras mobiles m’a convaincu de deux choses. D’une part, le cinéma est avant tout un art industriel et chaque nouvelle révolution technologique est une révolution créative. Il en va ainsi pour le 16 mm avec la Nouvelle Vague. La caméra mobile est la dernière de ces révolutions. D’autre part, le problème majeur pour tous les réalisateurs de courts métrages est la contrainte économique. Avec le mobile, ces contraintes disparaissent, tout en maintenant les caractéristiques d’un vrai film, une histoire, une direction d’acteurs, un montage …   

Combien de films recevez-vous pour le festival ?

Trois cent cinquante films cette année, c’est notre record. On en recevait trois cents sur les précédentes éditions. Avec une évolution sur cette dernière où l’on voit vraiment l’arrivée de l’I-Phone 4. 

Sur quels critères les sélectionnez-vous ?

Les cinquante films en sélection officielle sont choisis pour leurs qualités cinématographiques. Ils font tous preuve de cette démarche. On ne peut pas faire croire qu’il suffit d’un portable pour devenir réalisateur, c’est un leurre marketing. De même que l’ordinateur n’a pas fait de tout le monde un écrivain, ou que le polaroïd ne fait pas de nous un photographe, ce n’est pas parce que je fais des images avec mon chien ou mes enfants que je suis un cinéaste ! Il faut non seulement avoir des choses à dire, savoir les écrire et les restituer en images. 

Pourquoi restreindre la durée à une minute seulement ? Ne serait-il pas possible de faire plus ?

Il est tout à fait possible de faire plus. Mais cette durée est une manière de contraindre les réalisateurs dans leur création, afin de les inviter à mieux écrire leurs histoires pour les rendre plus fortes.

Les auteurs ont-ils un profil particulier ? Sont-ils étudiants de cinéma ou simples amateurs, voire bricoleurs ?

Ils sont un peu des trois et pour la majorité d’entre eux, que nous rencontrons tous les ans lors de la cérémonie de clôture, ils ont le désir de percer dans le cinéma.

Hormis de témoigner de l’évolution de la technologie, quelle est la vocation du festival ?

La vocation du festival est avant tout de faire découvrir de nouveaux réalisateurs, qui n’ont pas nécessairement accès aux moyens de production et qui peuvent, grâce à nous, être repérés. Cette année, le premier prix de 15 000 € permettra à un réalisateur de produire un "véritable" court métrage.

A l’heure actuelle, les films réalisés sur mobiles pourraient-ils être projetés sur grand écran ?

C’est déjà le cas. Ils le sont tous les ans, lors de la cérémonie de clôture (qui aura lieu ce jeudi 10 février au cinéma l’Arlequin). Mais pour ne pas perdre la qualité des films, on les diffuse dans leurs formats d’origine. On ne les étire pas. Du coup, les dimensions sont assez variables.

A l’inverse, quid des films conçus pour le grand écran. Ne risque-t-on pas de perdre une certaine dimension du film sur le "petit" écran d’un téléphone ?
Très certainement. C’est pourquoi il me semble plus que nécessaire d’inventer l’image qui ira dans les mobiles et qui s’y adaptera le mieux. Regarder un film de cinéma sur téléphone me semble tout à fait déprimant.

Projetons-nous dans le futur : pourrait-on imaginer une dématérialisation des salles de cinéma ?  

Elle existe depuis soixante ans, cela s’appelle la télévision ! J’aime beaucoup trop le plaisir de la salle de cinéma pour imaginer qu’elle puisse disparaître. Car la salle de cinéma offre l’avantage d’un plaisir individuel partagé collectivement…

 


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