Michel Ocelot : vingt sur vingt en arts plastiques.

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A l´occasion de la sortie des << Contes de la nuit >>, retour sur les affinités inconscientes de Michel Ocelot.

Artisan zélé, Ocelot passe le plus clair de son temps à travailler. A peine a-t-il fini ses Contes de la nuit, le voilà déjà parti sur les prochaines aventures de Kirikou. Pourtant, lorsqu’on interroge l’ouvrier méticuleux sur les influences esthétiques guidant son travail, il répond d’office avec une modestie de fourmi : « je suis bien conscient de ne rien faire d’original » (1). Lorsqu’on le questionne sur sa possible connaissance des cinéastes expérimentaux, il ajoute : « il est très difficile d’avoir une interview convenable avec moi, car je suis d’une ignorance crasse. Je ne connais pas les artistes dont vous parlez… » Consolons Michel Ocelot : ce n’est pas grave !

On l’a compris depuis le très luxuriant Azur et Asmar, l’abondance est la muse de Michel Ocelot, qui n’a jamais autant joué des couleurs et des effets plastiques qu’avec Les Contes de la nuit, visuellement très riches. S’il revient au théâtre d’ombres de Princes et princesses, l’exploitation de la 3D lui a clairement permis de se lâcher sur les toiles de fond. Des explosions d’étoiles fêtent Noël avant l’heure, célébrant les voûtes constellées des chapelles gothiques. Mieux encore : depuis qu’un prince antillais a mangé trop de champignons, les parois psychédéliques de l’Enfer ressemblent étrangement à des tableaux de Vasarely… Certains motifs sont évidemment attendus, comme les mandalas exubérants du conte tibétain du Garçon qui ne mentait jamais, le décor « mille fleurs » tapissant les contes médiévaux, ou encore le chef africain criblé de gri-gri tel une effigie vaudou. D’autres trouvailles sont plus déroutantes… On s’étonnera ainsi des coiffes futuristes des Aztèques de L’Elue de la ville d’or, en métal ajouré, à mi chemin entre les géoglyphes de Nazca et les sculptures cybernétiques et spatiodynamiques de Nicolas Schöffer. On saluera le rendu stylisé et éberluant des gesticulations masquées du magicien africain en gros plan dans Le Garçon Tamtam. La danse fait d’ailleurs bon ménage avec les entrelacs graphiques de silhouettes noires, tout comme la saccade du mouvement alliée à l’extrême schématisation de l’art africain sied plutôt bien à la 3D.
 

        

 
Nicolas Schöffer, tour cybernétique de Liège                                 Michel Ocelot, L’Elue de la ville d’or
Cette ébauche de transe optique trouve un aboutissement plus audacieux encore dans la transition entre les contes et les interludes du théâtre. Comme dans Princes et princesses, Ocelot joue d’une fausse obturation clignotante en triangle. L’emploi de la 3D transforme presque de manière inattendue ce clin d’œil nostalgique au cinéma primitif en effet flicker (flicker = papillotement ou clignotement), la 3D accentuant la profondeur déjà exacerbée par le noir. Un artiste expérimental comme Paul Sharits, par exemple, montait ses photogrammes de couleurs pures de sorte que leur succession très rapide provoque des clignotements lumineux. Ces battements lumineux et colorés devaient ouvrir les chakras des spectateurs alors victimes d’hallucinations optiques et spatiales. Si la convergence entre Ocelot et ce type de cinéma est accidentelle, nous sommes quand même en droit de nous réjouir. Ocelot mange à tous les râteliers, et c’est tant mieux. Son ignorance prétendue du cinéma expérimental nous laisse d’autant plus perplexes que, déjà, dans Princes et princesses, la référence à Mothlight (1963) de Stan Brakhage paraissait parfaitement calculée lorsque la sorcière présentait son herbier au prince (La Sorcière), avec insertions de vrais coquelicots séchés.

Pour les hommages conscients, il faudra aller chercher plus loin encore, en Allemagne, du côté des années 1920. Les Aventures du Prince Ahmed (1923-26) est considéré comme un des tous premiers long-métrages d’animation. Michel Ocelot est justement un grand fan de sa réalisatrice, Lotte Reiniger, surnommée « la maîtresse des ombres » par Jean Renoir : « Oh oui ! J’ai franchement pris l’idée de Lotte Reiniger, transposer le théâtre d’ombres en cinéma image-image. Cela m’a un peu « sauvé la vie » en me permettant de faire quelques films malgré le manque d’argent. D’ailleurs, en novembre prochain, je reconnaîtrai volontiers ce que je lui dois, invité par un festival qui se trouve à Tübingen, où Lotte Reiniger a un grand musée. » Faute d’argent, Ocelot a en effet posé les bases de son style en travaillant longtemps avec du papier Canson noir découpé aux ciseaux (Maped ou non) : un matériau facile d’accès, les personnages dentelés main étant animés fraction de geste par fraction de geste. « Fiat Lux ! » Et la lumière fût, du fond de la table vitrée, filmée par la caméra… Ne manquait plus que l’illusion de perspective pour donner corps aux fantômes : Lotte en a rêvé, Michel l’a fait. Une bonne raison pour s’infliger les lunettes.
 

       
Mothlight
, Stan Brakhage                                        Les Aventures du Prince Ahmed, Lotte Reiniger

(1) tous les propos cités ont été recueillis par mail, le 21.06.2011.


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