Les spectateurs ont pu le constater dès la première projection. Four Lions de Chris Morris fait l’effet d’une grenade comique dégoupillée par inadvertance, un film impossible qui assume autant son humour (très) noir que ses saillies satiriques sur notre société occidentale. Le film raconte l’odyssée de quatre Anglais musulmans voulant devenir des martyrs en commettant un attentat à Londres. Nul besoin de rappeler que le sujet est sensible : Morris ne prend d’ailleurs pas la peine de justifier son « affront » au bon goût et à la morale bien-pensante.
Le film prend le pari de présenter ses kamikazes comme des nigauds, des simplets qui ratent magistralement leur entraînement en Afghanistan, font exploser des corbeaux et des moutons, et achètent des produits illicites pour leurs bombes sur Amazon. C’est simple : Four Lions est aussi hilarant qu’il est lucide. Morris n’oublie pas que, malgré leur bêtise, ses pieds nickelés sont des hommes dangereux qui feront, dans leur pathétique tentative de bousculer la société occidentale, quelques victimes. Si le ton est à la farce, le film a le bon goût de ne pas prendre ses spectateurs pour des arriérés. Il sort en décembre.
Corée enragée
Quelques coudées en-dessous, No Mercy joue la carte de l’enquête à la Usual Suspects tartinée de quelques scènes gore bien racoleuses (ah, cette autopsie…). Un légiste en pré-retraite y joue le rôle du dindon de la farce, forcé de faire libérer le meurtrier d’une jeune fille sous peine de voir sa propre progéniture y passer aussi… Inutilement compliqué, No Mercy est tout entier tendu vers sa révélation finale, qui peut se deviner dès le premier quart d’heure avec un peu de jugeote.
Zombies, démons… et sangliers
Du côté des frenchies, toujours aussi craints qu’attendus, le Proie d’Antoine Blossier a fait bonne figure. Avec peu de budget, le cinéaste signe un premier long rappelant tantôt l’école du survival anglais, tantôt les monster movies des années 80, comme le psychotronique Razorback, auquel on pense forcément puisqu’il parle aussi de chasse au sanglier. Enfin, on pense, parce que les bêtes mutantes de Blossier pointent rarement leur groin sur l’écran. Tout est centré sur une famille de personnages chabrolesques, leur peur manifeste, leurs rapports conflictuels, reléguant la meute des mammifères baveux à un hors-champ inquiétant et effrayant (merci l’ingénieur son). Plastiquement, Proie a de la gueule, et l’histoire n’est pas plus bête qu’une autre. On préfère ça qu’un deuxième Humains.
Les voisins allemands font aussi impression : en à peine soixante minutes, Rammbock synthétise les ingrédients du zombie movie, du huis clos désespéré à la galerie d’anti-héros attachants (ou lâches), en passant par les armes de fortune et le plan B pour fuir le chaos. Pour un exercice a priori aussi balisé, c’est assez bluffant. En comparaison avec Pontypool, toutefois, l’exercice paraît classique. Huis clos fantastique lorgnant clairement sur le cinéma de Carpenter, Pontypool enferme le spectateur et trois personnages (dont un présentateur haut en couleur joué par Stephen McHattie) dans une station radio. A l’antenne, les témoignages d’une épidémie qui transformerait les gens en zombies se multiplient… Mieux vaut ne pas spolier l’incroyable idée du film, qui donne toute sa force à une œuvre qui évite l’écueil du théâtre filmé en maintenant une tension permanente à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment.
Coz’ this is Thriller…
Le fantastique se faisait aussi discret dans Le Dernier Exorcisme, présenté par Eli Roth et Daniel Schamm et qui sort cette semaine. Pour résumer, il s’agit d’un mélange entre REC et L’Exorciste, qui prend à contre-pied les attentes du spectateur (notamment dans son dernier quart d’heure). Un peu maladroit, Le Dernier Exorcisme portait avant sa post-production le titre de Cotton, en référence à son très intéressant personnage principal, Cotton Marcus, un prédicateur au sourire ultra-brite en pleine crise de foi, qui entend montrer au public que les exorcismes, c’est du bidon. Le film joue mieux la carte du faux documentaire que du Blair Witch-like terrifiant.
Le suédois Thriller (ou They call her one-eye), est un « rape & revenge » des seventies devenu culte grâce à Quentin Tarantino, qui a repris l’idée d’une blonde borgne avec un bandeau de pirate dans Kill Bill. Si le côté film d’exploitation est effectivement présent – on y raconte l’enfer d’une jeune fille muette kidnappée et mutilée, forcée de se prostituer, et qui va préparer une vengeance implacable -, le résultat n’est toutefois pas à la hauteur de sa réputation. Farci de ralentis hallucinés censés dupliquer le cinéma de Peckinpah, manquant sérieusement de rythme et de bons acteurs, à part la mutique et sublime Christina Lindberg, Thriller annonce de manière étonnante le Mad Max de George Miller (utilisation des grands espaces, duels westerniens, caméra pied au plancher, héros vengeur et avare en dialogues).
Ton T4 ou la vie !
Moins définitif, Captifs est une tentative louable de survival à la française. Dégraissé de tout élément superflu, le premier long de Yann Gozlan séquestre une poignée de personnages dans une geôle en ex-Yougoslavie, qui ont bientôt un choix à faire : mourir ou s’enfuir. Pas bien compliqué mais tendu, direct et brutal, Captifs pâtit, comme souvent, d’un budget limité, mais n’a pas la prétention auteuriste d’un Martyrs ou le mauvais goût d’un Frontières : il se déguste comme une série B à l’américaine où brille l’athlétique Zoé Félix.
Monstres bien humains
Lauréat du prix Nouveau Genre, l’hispano-américain Buried a comme prévu enfermé la salle dans un cercueil durant 90 minutes de tension et de Ryan Reynolds. Dur de critiquer un tel exploit du point de vue technique, sachant qu’on ne s’ennuie jamais malgré le peu de choses à voir (le malheureux héros passe son temps au téléphone). Reste que les rebondissements sont largement tirés par les cheveux, et que le dénouement est un brin téléphoné (sic).
La projection de Rubber ratée, le must du dernier weekend a été le Monsters de Gareth Edwards. Exploit technique impressionnant (le film a dû couter moins d’un million de dollars, il en paraît dix de plus au moins), ce premier long de science-fiction ne braconne pas sur les terres de District 9, malgré son sujet similaire. Il s’agit en fait d’une love story à la African Queen, où un couple mal assorti se découvre au fil d’une aventure plus mystique que monstrueuse. Les aliens tant attendus n’ont d’ailleurs rien de Tripodes agressifs : on est plus dans le versant Rencontres du troisième type que Guerre des mondes, pour rester chez Spielberg. Il y a plus à craindre des Américains et de leurs bombes chimiques (la métaphore sur l’Irak et l’immigration clandestine est grosse comme une maison) que de ces créatures bluffantes de réalisme. Beau à en crever, dépaysant et contemplatif, Monsters est une expérience pas comme les autres. Un peu comme l’Etrange Festival.