Les Sentiers de la gloire

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Film le plus évidemment « humain » de Stanley Kubrick, résonnant plus que jamais avec l’actualité de par sa mise à nu de l’arbitraire guidant toute offensive militaire.

Souvent, à la reconnaissance du génie de Stanley Kubrick, la validation de son statut de cinéaste parmi les plus virtuoses et novateurs du XXème siècle, s’associe une demi-réserve, le soupçon d’une froideur de son regard laissant deviner une certaine distance prise avec l’humain, un surplomb sur ses personnages symptomatique d’une possible misanthropie. A ce soupçon plutôt légitime, il est vrai, la présence dans l’œuvre d’un film tel que Les Sentiers de la gloire (1957) permet au moins d’apporter modération : si le cinéma de Kubrick eut en effet d’autres priorités que l’humanisme, ce dernier n’en était pas moins un cinéaste du point de rupture, de la chute, de la blessure identitaire dont ce film fut l’exemple le plus manifeste. C’est sans doute qu’un sujet tel que la Première Guerre mondiale ne pouvait laisser au futur démiurge, à l’auteur de ces grosses machines de décentrement que seront 2001, Orange mécanique ou Shining la lattitude nécessaire à la représentation abstraite d’une « perte » de l’Homme. Qu’afin de mieux réfléchir par la suite à ce que pouvait être un monde où le mental, le cerveau serait l’unique matrice de la fiction (2001, ancêtre de Matrix ? eXistenZ ? Inception ?), il se devait de se tenir encore un peu au plus près de l’Histoire des hommes, de leurs peurs, leurs devoirs, leur quête de survie.

La ressortie ce mercredi, par l’entremise de Carlotta, de ce qui reste l’un des grands films sur la guerre (ni Apocalypse Now, ni Full Metal Jacket du même auteur ne mettront à ce point en lumière le pur arbitraire « politique » décidant du destin des soldats, ne privilégieront autant l’au-delà du cauchemar des tranchées, à la hauteur des seules têtes pensantes) est ainsi, à l’heure où l’offensive autorisée par l’ONU en Libye et les dommages collatéraux susceptibles d’en découler actualisent comme rarement la problématique militaire, une invitation au constat d’une certaine absurdité de l’évènement historique lui-même. Les Sentiers de la gloire est d’autant plus un film « historique » que sa structure entière repose sur la mise à nu du système militaire, entre rares scènes sur le terrain, accompagnant l’acte de guerre, la réalité du combat et nombreux épisodes de réflexion, de contextualisation de la situation par les hauts gradés, dont l’inoubliable Colonel Dax, incarné par Kirk Douglas, serait comme le support des contradictions.

Personnage « positif » au sens où lui seul contribue à situer le positionnement critique du cinéaste quant à la cruauté de ce qu’il expose (rien moins que le sacrifice concerté d’une poignée d’enfants du pays – la France – au nom du seul symbolisme, ayant amené au long boycott du film dans les salles françaises), Dax est surtout une figure de l’impuissance comme Kubrick en présentera peu par la suite. Tout du moins pas de manière aussi lisible, les chutes d’Alex (Orange Mécanique), Barry Lindon ou Bill Harford (Eyes Wide shut) se rattachant à une évolution plus lente, sur laquelle reposera précisément le cheminement des récits.

Douze ans après sa disparition, Stanley Kubrick demeure, l’actualité de cette ressortie comme la rétrospective et l’exposition qui lui sont consacrées par la Cinémathèque le confirment si besoin était, l’une des personnalités du septième art les plus stimulantes à décrypter. Ainsi est-ce la raison pour laquelle il sera le sujet de notre Coin du cinéphile du 6 avril, revenant sur le mythe qu’il reste, qu’il était au vrai déjà de son vivant (ne serait-ce que par l’espacement croissant de ses films), mais à la mesure de son travail et rien d’autre. Outre sa très (trop ?) forte personnalité, sur quels éléments de mise en scène repose réellement le culte de Stanley Kubrick ? Réévaluation de facto dont la redécouverte en ce jour de ces Sentiers de la gloire se veut un préambule : si chaque film mérite une réflexion à sa seule hauteur, persiste l’évidence que chaque scène du moindre film est aussi la partie d’un édifice, d’une « œuvre » condamnée à faire avec ses dimensions hors normes, sa défiance envers toute notion d’échelle.

Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, distribué par Carlotta, en salles dès le 23 mars

A relire : Les Sentiers de la gloire par Jean-Michel Deroussent

©Ciné Classic

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