Les Oscars 2009 = Un pour le « millionnaire »

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L´oscar, récompense hollywoodienne suprême (en termes médiatique et symbolique), n’est-il pas censé inscrire avant tout des films << majeurs >> au panthéon des grandes oeuvres de cinéma ?

Le dernier film de Danny Boyle est une œuvre rare. Doublement d’actualité quand elle propose d’étudier un clivage social grandissant, et les inégalités des pays émergents comme l’Inde, mais surtout par le traitement de cette fresque moderne, qui questionne la position du cinéma contemporain face au monde en mutation. Boyle, fidèle à son désir de voyage (de Transpotting et l’appel de l’évasion, jusqu’au voyage ultime de Sunshine, en passant par La Plage, qui interrogeait déjà l’Asie du sud-est : Asie/Occident, comment ça va avec la douleur ?), parcourt l’Inde des bidonvilles de Bombay jusqu’au palais du Taj Mahal. On pense au Darjeeling Limited de Wes Anderson, qui nous offrait un road movie poétique et initiatique le long des chemins de fer indiens : une famille, plongée dans ce pays immense et étranger, allait se disloquer et se réunir. Dans Slumdog Millionaire, la déconstruction participe de la poésie. Boyle aime bouleverser les sociétés occidentales en les exposant à un isolationnisme forcé (la Grande Bretagne en quarantaine dans 28 jours plus tard, et dans La Plage), mais aussi en effaçant les clivages sociaux et les préjugés moraux. Pas de manichéisme dans le cinéma de Boyle, pas de discours, ni de démonstration. Boyle choisit le choc visuel, la confrontation, le paradoxe (déjà contenus dans le titre), pour que sa poésie soit aussi brutale que les thèmes qu’il aborde.

Le cinéaste veut, dans Slumdog Millionnaire, nous faire sentir l’Inde : l’odeur de merde des toilettes des slums, la chaleur étouffante du centre ville, le feu, le sang, la sueur. Les deux frères traversent l’enfance comme on traverse un pays, en y côtoyant le malheur et l’injustice, le viol, le meurtre, la faim…la misère. Mais Boyle ne dénonce pas, pas plus qu’il ne s’apitoie sur le sort de ses personnages. Partout, la misère rencontre la chance, la mort appelle l’amour, et l’injustice vient avec la fortune. La vie est faite de mélange, disait Bergson, Boyle semble aimer cette idée et s’amuse avec le talent d’un pur visionnaire à surprendre et dérouter : l’amour et l’espoir (l’humour !) surgissent là où le spectateur ne saurait les attendre, dans la merde et la poussière. On est donc dérouté par Slumdog millionnaire, qui se présente comme un conte de fées moderne, romantique et violent. Un oscar mérité pour ce film, qui a le courage de plonger dans la misère du monde, sans en ressortir grandi ou moralisateur. Le réalisateur prend tout à contre-pied, même le Happy End. L’ironie est palpable. L’enfant du bidonville devient millionnaire et (re)trouve l’amour… est-ce le signe que tout est possible ? Que la frontière entre extrême pauvreté et très grande richesse n’est pas si infranchissable qu’on veut bien le dire ?

     
 

Le réalisateur ne semble pas s’embarrasser de ces questions et nous présente une fable, un conte visuel plutôt qu’un drame social. Il s’agit ici d’interroger les codes du récit et de présenter une œuvre purement visuelle : un divertissement. Là est peut-être le point faible du dernier film de Danny Boyle. A force de voir le fond et la forme s’entre-choquer, le spectateur perd ses repères et ne sait plus sur quel pied danser (et effectivement, la musique, omniprésente, y est pour beaucoup !). Que retenir de cette fresque/mosaïque mélangeant légèreté et gravité ? Par moment, Slumdog se présente comme un très long clip musical, au traitement visuel original (chaque plan est une trouvaille), d’autres fois, Boyle transforme son récit en film d’aventures pour enfant. A force de présenter des images exotiques et déroutantes, et de les faire bouillir par un montage nerveux, Boyle perd le fil d’une histoire romantique incroyablement bien écrite. Slumdog Millionaire est une œuvre originale, déroutante, mais inégale. Bien que l’impression de confusion et de non finitude fasse partie intégrante du cinéma de Boyle, elle a ici quelque chose de gênant. Boyle nous invite au voyage, mais nous offre un film musical. Il nous offre une belle histoire d’amour, mais avec le recul de l’auteur qui s’en amuse. Il nous fait voir la misère, mais toujours comme décor d’un comte optimiste. Si bien qu’au sortir du film, on ne sait plus trop quoi penser : a-t-on réellement découvert l’Inde ?

Passé un bon moment de cinéma ? Doit-on s’indigner ou se réjouir ? Le mélange des genres, le choc visuel qui perturbe les préjugés de spectateur, sont des entreprises courageuses, rares et intéressantes. Pour cela, Boyle mérite effectivement son prix de meilleur réalisateur. Celui qui a déjà mis les pieds sur un plateau peut imaginer l’incroyable défi technique, géographique et humain que représentait la mise en image de cette histoire ambitieuse. Et le parti pris déroutant est tenu de main de maitre, par un cinéaste qui semble avoir présenté là son film somme, sans doute le plus personnel et le plus courageux. Mais si l’entreprise est remarquable et mérite ces applaudissements et cette récompense, le film lui-même, en tant qu’« œuvre du monde » et œuvre cinématographique, semble trop incomplet, confus, vaporeux. Slumdog est un film à voir, une expérience de cinéma réjouissante, mais sans doute pas le « meilleur film de l’année ». L’oscar, récompense hollywoodienne suprême (en termes médiatique et symbolique), n’est-il pas censé inscrire avant tout des films « majeurs » au panthéon des grandes œuvres de cinéma ?


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