Le cas Stephen King est unique dans le monde de la littérature moderne. Jamais un nom, de romancier qui plus est, n’aura été autant attaché à un genre cinématographique, au point même de servir de point de repère pour en décrire d’autres. « C’est de l’horreur, dans le genre Stephen King », entend-on souvent. Tom Clancy, Michael Crichton, eux aussi, sont devenus des hommes de plumes connus du grand public grâce aux adaptations de leurs romans. Mais leur popularité est sans commune mesure avec celle de l’écrivain né à Portland.
Homme de lettres ayant dévoré de la littérature pulp dès son plus jeune âge, Stephen King a eu la chance de connaître un grand succès dès son premier roman, paru alors qu’il enseignait l’anglais et vivait encore dans une caravane avec sa femme Tabitha (qui deviendra plus tard écrivain à son tour). Carrie, histoire terrifiante d’une adolescente timorée se découvrant des pouvoirs télékynésiques, contient déjà en germe tout ce qui fera l’attrait des futures histoires imaginées par l’auteur : personnages réalistes et banals placés soudainement dans une situation surnaturelle, cadre à la fois urbain et rupestre du Maine, sa région natale, innombrables références à la culture populaire américaine, style très visuel où de nombreux artifices (caractères écrits à la main, utilisation de l’italique, dessins) tendent à dynamiser la lecture, et surtout une montée en puissance progressive de l’horreur, qui culmine dans des finals toujours très visuels. Un univers tel que le sien ne pouvait qu’attirer les producteurs et réalisateurs de tous poils.
Et ce fut chose fait dès 1976 : Brian de Palma, alors jeune cinéaste un peu culte, adapte Carrie au cinéma avec la maestria qu’on lui connaît. La performance de Sissy Spacek et les inventions du metteur en scène (split-screen, ralentis, jump-cuts, effets choc) font du film un champion du box-office. Ce coup d’éclat inaugure une carrière de rêve pour Stephen King dont le visage poupin, coupé par d’énormes lunettes à triple foyer (King devient depuis trente ans progressivement aveugle), sera bientôt connu de tous.
Films cultes, oscars et séries Z
L’auteur étant très prolifique, les adaptations s’enchaînent, surfant sur la vague née avec Carrie. Au début des années 80, Tobe Hopper adapte ainsi à l’écran Les vampires de Salem, lugubre modernisation du mythe. Mais c’est surtout Shining, que réalise l’immense Stanley Kubrick, qui fait l’actualité. Nul besoin de revenir sur ce film marquant, le seul où la personnalité du cinéaste éclipse celle du romancier, qui d’ailleurs a renié le résultat, préférant produire des années plus tard sa propre version pour la télévision. Qu’importe, l’interprétation possédée de Jack Nicholson suffira à faire entrer Shining au panthéon des films cultes.
La suite ne sera pas dénuée d’intérêt pour les amateurs du King : David Cronenberg adapte The Dead Zone en 1983, et là encore, l’acteur principal (Christopher Walken) immortalise de belle manière un personnage « kingien » sur le grand écran ; la même année, le spécialiste John Carpenter réalise Christine, mais c’est une voiture, une Plymouth rouge, qui est cette fois en vedette. Le modeste artisan Lewis Teague se surpasse lui aussi pour Cujo, huis-clos suffocant où un Saint-Bernard atteint par la rage attaque une femme et son fils dans leur voiture. Toutes ces réussites suscitent les convoitises et bientôt le nom de « King » devient une marque déposée qu’il faut absolument exploiter, et, le plus souvent en dépit du bon sens. A oublier, donc, les Enfants du Maïs et leurs suites, Cat’s Eyes, Charlie, Peur Bleue, Darkside, La créature du cimetière, Le cobaye, Creepshow 2 ou la grosse machine Running Man, avec Arnold Schwarzenegger. Le mercantilisme est dans ces années 80 de rigueur, et la qualité, forcément, manque à l’appel.
Heureusement, le cinéaste Rob Reiner, grand fan du romancier, sera présent durant cette décennie pour montrer un nouvel aspect de Stephen King qu’on ne connaissait pas à l’écran : le drame émotionnel, réaliste au possible. Avec Stand by me, histoire touchante de quatre garçons partis à la recherche d’un cadavre dans la forêt, le futur réalisateur de Quand Harry rencontre Sally réussit à faire pleurer l’écrivain, jamais aussi concerné par l’histoire que lorsqu’elle implique un personnage de romancier. Peu après, Misery touche aussi au but : on y suit le calvaire d’un écrivain à succès (James Caan), séquestré par une de ses fans psychotiques. Un film incroyablement tendu et brutal, pour lequel Kathy Bates recevra un oscar.
King prend du recul
Ces deux oeuvres marquantes, ainsi que le très effrayant Simetierre et son gamin zombie, relancent la machine avec panache. Maintenant que son nom n’est plus automatiquement lié à l’horreur, Stephen King peut se diversifier : le drame familial avec Dolores Claiborne, la fable fantastique (La ligne verte, Coeurs perdus en Atlantide), l’épopée carcérale (Les évadés), l’heroic-fantasy (la saga « La tour sombre »)… Quelques titres viennent rappeler que l’homme n’est jamais aussi bon que lorsqu’il explore les abîmes les plus noires de notre monde moderne, qu’il enfante des monstres bien réels (l’ancien bourreau nazi d’un Elève doué) ou totalement imaginaire (le pilote-vampire du méconnu The night flier).
Toutefois, le nouveau siècle verra se raréfier les adaptations pour le grand écran du romancier. Marqué par un terrible accident de voiture, Stephen King prend du recul sur son oeuvre, notamment via l’essai « Ecriture », et ralentit son rythme de travail. Cela donne encore de nouvelles oeuvres marquantes en librairie (le recueil de nouvelles « Tout est fatal », « Cellulaire »), moins à l’écran : Fenêtre secrète, Dreamcatcher, Riding the bullet, Désolation, autant de séries B qui n’ont guère marqué les esprits.
Il faut attendre 2007, avec le succès commercial de Chambre 1408, et la réussite indéniable de The Mist, adapté de vieux récits de l’auteur, pour que le nom de Stephen King excite à nouveau Hollywood : Eli Roth, réalisateur de Hostel, prépare Cellulaire, Frank Darabont devrait s’attaquer à Marche ou crève, et Tobe Hopper à From a buick 8. L’originalité intemporelle des récits du King, la grande variété de ses oeuvres, écrites en à peine une trentaine d’années, expliquent ce renouvellement d’intérêt constant de la part des producteurs. Reste à espérer que les futurs « metteurs en images » de ses histoires soient aussi inspirés qu’un Frank Darabont…