L’Enfer des armes (Don’t play with fire, 1980)

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Sans concession aucune, un vent de folie souffle sur le premier grand film de Tsui Hark et en disperse les cendres sur toute sa filmographie.

1980. Une première version de L’enfer des armes de Tsui Hark met en scène trois étudiants de milieu aisé faisant exploser par désoeuvrement un des cinémas de Hong-Kong. La scène se déroule devant les yeux d’une jeune femme qui rejoindra ces trois apprentis terroristes, qui les poussera même davantage dans leur entreprise de destruction. S’inspirant d’un fait divers ayant bouleversé l’opinion dans les années 1970 (une bande d’adolescents poseurs de bombes), Tsui Hark présente une jeunesse nihiliste, une société perdue, pas encore rattachée à la Chine ni totalement délaissée par les britanniques, et s’apprête également, à sa manière, à faire exploser tous les cinémas de l’île.

Brûlot anarchiste d’un jeune réalisateur à l’époque peu suivi par le public et la critique, L’enfer des armes tombe rapidement sous le joug de la censure et, concession après concession, sort dans les salles une version remaniée, moins
« dangereuse » que l’originale. Exit les poseurs de bombes, la violence, toujours omniprésente, n’est plus un but en soi pour les trois adolescents, mais agit comme conséquence inévitable du récit, que ce soit sous la forme d’un accident de voiture ou d’une classique intrigue policière. De la « version cinéma » présentée à sa sortie à la version « director’s cut » visible aujourd’hui en dvd, c’est donc ce rapport à la violence qui diffère, les censeurs ayant d’une certaine façon forcé le cinéaste à la justifier. Dans l’une comme dans l’autre, persiste pourtant l’énergie folle d’un jeune réalisateur en colère et ce, même après l’intervention d’une censure dépassée par une puissance de tous les plans.


Troisième réalisation de Tsui Hark, L’enfer des armes met un terme à la trilogie du chaos que le cinéaste avait entrepris dès ses deux premières œuvres, Butterfly murders et Histoires de cannibales. La violence des deux films, très froide, jamais érotisée, se retrouve alors dans l’univers contemporain de ce dernier film, s’invitant cette fois-ci dans le Hong-Kong du début des années 1980. Malgré la qualité de ses deux premières réalisations, la trilogie chaotique de Tsui Hark ne semble exister que par sa conclusion. Urbaine, glaciale, son décors est morose et plus encore le sont ses personnages. Prisonniers tout comme les souris en cage de la première scène, ils n’auront de cesse de fuir ce à quoi ils ne peuvent échapper. Fenêtres barricadées, barrières de barbelés, le cinéaste pose dès les premières minutes des barreaux à son cadre, nous obligeant à observer ses protagonistes à travers eux. Le flic intègre et de ce fait dépassé (Lo Lieh), la jeune fille désocialisée et manipulatrice (Chen Chi Lin ), les trois étudiants lâches (Albert Au Shui Keung, Che Biu Law, Lung Tin Sang), chaque personnage tentera de sortir de sa prison quitte à avoir recours à la plus extrême violence. La force de Tsui Hark, plus encore que de relier ses nombreux personnages à une trame narrative viable, est de les présenter à chaque instant comme victimes de leurs propres actions. Pas de misérabilisme ici, seulement le poids écrasant de la fatalité. Quant à la trame parallèle à l’intrigue principale, inventée pour les censeurs, elle nous plonge dans de sombres trafics en tout genre, avec leurs lots de malfrats. Malheureusement, elle paraît quelque peu inutile et dissonnante.  


Allègrement censuré donc, L’enfer des armes, à sa sortie en salles, affiche pourtant une violence très graphique, brutale et jamais hors-champ. Empalements, maltraitance d’animaux, morts en séries, autant d’éléments montrant que le regard de la censure se portait ailleurs, là où il pouvait exister un lien reliant l’œuvre du cinéaste et le Hong-Kong de son époque. Une scène pourtant semble être passée entre les filets des censeurs et a été sauvée, dissimulée sous le masque du genre. Nous sommes à la fin du film et Tsui Hark, plus enragé que jamais, invite ses personnages chez Leone. Finie la froideur urbaine de Hong-Kong, le paysage est désormais désertique et l’heure semble venue de régler ses comptes. Comme il le fera plus tard avec Il était une fois en Chine, chaque personnage surpasse alors son statut et par la contre-plongée, la distorsion de l’espace, Tsui Hark filme désormais des mythes. Si le cimetière qui fait office de décor n’est pas celui de Sad-Hill, l’ambiance est pourtant bien mortuaire et la musique, qui jusqu’alors des Goblins à Jean Michel Jarre « empruntait » aux synthétiseurs des 70s, est gagnée par les timides roulements de tambours des envolées de Morricone. Surarmés, nos trois étudiants peureux se retrouvent confrontés à des ennemis qui les dépassent, Occidentaux sortis tout droit de séries B et Hark, pour la première fois dans ce film, stylise la violence, la caricature même.


 

Filmées dans un bain de sang débridé, les dernières minutes apparaissent alors étrangement discordantes comparées à la maîtrise froide du film. Le Hong-Kong de 1980 semble bien loin et on ne saisit pas clairement la démarche du cinéaste. Pourtant, de l’amoncèlement de cadavres au sol, se relève l’un des trois étudiants. Le temps de ramasser une arme et d’habiller son visage d’un rictus fou, il mitraillera jusqu’à épuisement tout autour de lui : les cadavres au sol, les tombes aux alentours. En parallèle au « tac tac tac » de la mitraillette, Hark monte dans un rythme effréné des photos de presse de l’époque et son Hong-Kong nous revient alors, décadent, hideux comme il le voulait au départ : trottoirs sanguinolents, émeutes, arrestations, descentes de police. Tsui Hark termine son film comme il l’avait commencé, enragé, mais ne se confrontera désormais plus jamais aussi frontalement à la société de son époque, choisissant par la suite, comme dans ce final, des chemins de traverse. Œuvre de jeunesse, L’enfer des armes, plus encore qu’un brûlot destructif d’un réalisateur en roue libre, n’est autre que son manifeste.


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