A l’heure où la conférence internationale de Charm el-Cheikh tente de collecter suffisamment de fond pour la reconstruction de Gaza, Le sel de la mer restitue un thème qui, preuve en est, ne choisit ni la fiction ni le réel, mais la lisière des deux. Le cinema israélo-palestinien a cette particularité exemplaire de se fondre dans les méandres du passé historique, de le restituer au présent par la force de personnages en quête de compréhension et de souvenir. Ce premier long métrage de Anne-marie Jacir participe en demi-teinte à cette entreprise de regard intime sur le passé collectif.
Le sel de la mer aborde les conséquences d’un exil, grâce au retour de Soraya, jeune américaine aux origines palestiniennes sur la terre de ces ancêtres. Partant sur les traces de son grand-père, contraint et forcé de quitter la maison qu’il avait construite à Jaffa, Soroya reconstitue le puzzle de sa mémoire éparse, composée des bribes de souvenirs de chacun des membres de sa famille exilée. Dans la colère, elle fait face aux banquiers, à une propriétaire, aux policiers qui tous refusent de lui accorder ce qu’elle demande : de l’argent, un bien (sa maison), une identité (palestinienne).
La plus grande réussite réside dans la capacité à se plonger dans le personnage uniquement par sa présence et de le replacer au sein même de sa contradiction. Filmé de face en gros plan, sans une once de décor en arrière-plan, Soraya apparaît après un travelling de dos, droite cadre, décentrée dans un décor qui lui fait face et qu’elle essaye de s’approprier. A l’image de ce dispositif filmique simple mais discursif, la réalisation de la première partie s’effectue de façon binaire, toujours dans une recherche de confusion et de confrontation, d’un nécessaire affrontement entre passé et présent. Parfaitement intégrée au sein de la population de Ramallah, elle se bute au déni identitaire de la part de l’administration (« Bienvenue à vous et à New York »), de leur impotence et de leur avidité à l’oubli. Ancré dans le même filmage, les scènes dans les bureaux des autorités sont en plan fixe, froids, distants et formulés par le langage classique du champ/contre-champ. A l’inverse, les plans extérieurs sont spontanés, filmés caméra à l’épaule suivant l’agir combatif de l’héroïne. Soraya est ainsi celle qui dérange, qui rêve d’ idéalisme et d’espoir, qui réfute le leitmotiv « La vie est meilleure ailleurs ».
Malgré ce début séduisant, Le sel de la Mer s’essouffle dans la deuxième partie, lorsque les personnages parviennent à atteindre Israël malgré l’interdiction administrative. Le film épris de liberté comme ses personnages, filmé caméra à l’épaule s’attarde sur le passé et se complaît dans la démonstration. Par ailleurs, les images transitoires des trois personnages demeurent sans réelle nécessité et ralentissent le récit. La forme quant à elle ne s’efforce plus d’imprégner le récit ; les personnages conduisent le fil de leur histoire au détriment d’une symbiose entre eux et la réalisation.
Film bancal et fragile, Le Sel de la mer rappelle que le cinéma israélien traite perpétuellement du poids identiaire mais échoue dans son ouverture réflexive. Dommage.