Un jeune aristocrate, Alfred Butler, est envoyé par son père à la campagne afin de « devenir un homme », dixit l’autorité paternelle. Notre jeune homme s’en va donc dans un coin perdu. Mais le dépaysement est loin d’être total : il aménage une tente d’une quarantaine de mètres carrés avec lit, garde-robe, baignoire. Il emmène également « dans ses bagages » son major d’homme pour lui servir le petit déjeuné au lit tous les matins. Il reprend alors sa vie oisive et solitaire. Il s’essaie à la chasse et à la pêche, mais c’est une catastrophe. Décidément, il en faudra beaucoup pour le faire changer !
Et justement, c’est l’amour qui va le révéler et lui donner le courage de devenir un homme. Une rencontre bouleverse en effet sa vie : il tombe amoureux d’une fille de la campagne. L’idylle entre les deux jeunes gens se heurte cependant à un problème de taille : le frère et le père de la jeune femme ne veulent pas accepter dans la famille un « faible ». Le major d’homme d’Alfred a alors la lumineuse idée de faire croire à la famille de la jeune campagnarde que son maître est…un champion de boxe !
Débute alors une série de situations cocasses : ne voulant pas révéler la vérité à son aimée, le jeune Butler jouera le jeu jusqu’au bout, avec en point d’orgue les séquences de boxe où le principe est simple : faire s’affronter un boxeur professionnel et un type qui ne s’est jamais battu de sa vie. On notera au passage que ces scènes ont un air de ressemblance frappante avec celles des Lumières de la ville (le film de Chaplin étant sorti tout juste dix ans après celui de Buster Keaton).
Le Dernier round (Battling Butler), de et avec Buster Keaton, est une pure comédie, dans la veine de la grande majorité des films du comédien. Le rythme est plutôt enlevé, et le film se révèle plutôt comique par moments. Les personnages, sans être d’une profondeur véritable, sont attachants. Keaton n’a donc qu’un objectif : divertir, et il le fait plutôt bien.
Car finalement, il n’y rien d’autre à chercher dans Le Dernier round. Et dès que l’on creuse un peu plus, on perçoit le même défaut que dans la plupart des films avec Keaton. On sait très bien que l’on ne retrouvera jamais, dans quelconque long métrage de l’acteur, pas même dans Le Mécano de la générale ou The Cameraman, ses deux films probablement les plus réussis, la force émotionnelle qui caractérise le cinéma de Chaplin.
Mais le plus déplaisant dans Le Dernier round, entre autres, c’est qu’il transfigure une image naïve et simpliste d’un pays, l’Amérique, où tout est possible, rien n’est cloisonné, aucun déterminisme n’existe, aucune contrainte non plus, de quelque nature qu’elle puisse être. Les individus sont libres de vivre leur vie et finissent toujours par trouver le bonheur quand ils le veulent vraiment : « Quand on veut, on peut ». Les aristocrates se marient ainsi avec les gens de la campagne, et les faibles et les oisifs deviennent champions de boxe, l’amour donnant des ailes. Les hommes et les femmes qui peuplent ce monde sont sympathiques mais restent caricaturaux et manquent cruellement de profondeur. Comment ne pas y voir l’accomplissement d’une sorte « d’American way of life », où la quête du bonheur est aseptisée par une croyance ferme en le rêve américain ? Le plus marquant dans la plupart des films de Keaton réside dans l’affirmation forcenée du destin individuel. La société n’existe pas en tant que telle, l’individu et ses choix, quels qu’ils soient, sont glorifiés.
Keaton met en scène des personnages simples auxquels un plus grand nombre peut s’identifier. On ne reprochera jamais à son cinéma d’être grand public (celui de Chaplin l’était-il moins ?). Mais la manière, simple et peut-être dangereuse, avec laquelle il tire certaines ficelles prive ses films de réelle force. Il ne suffit pas de faire de bons gags pour faire de bons films.