Le Dernier rivage (On the Beach – Stanley Kramer, 1959)

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« There is still time… brother » : Stanley Kramer, explorateur de quelques âmes humaines irradiées et tourmentées.

Il n’a pas fallu attendre les blockbusters « m’as-tu-vu » de Roland Emmerich (Le Jour d’après, 2004 ; 2012, 2009) pour voir la fin du monde traitée au cinéma. À l’heure d’aujourd’hui, ce sujet est exploité à coups d’effets spéciaux et d’explosions en tous genres. De subtilité, il n’y a pas. Pourtant, quelques scènes tout à fait récentes arrivent à nous convaincre que la fin du monde n’est pas qu’une légende maltraitée. Quand le robot miraculé de Wall-E (Andrew Stanton, 2008) arpente un monde post-apocalyptique et désertique, l’effet fonctionne. Qu’on soit dans les années 1950 ou dans les années 2000, pas besoin qu’une météorite s’écrase sur Terre pour que le spectateur ait des frissons. L’idée de fin du monde comprend un vaste domaine de réflexions, dont l’état de fait fataliste peut être amené par différentes causes : soit la Nature reprend ses droits et l’Homme tente, en vain, de la combattre, soit c’est l’Homme lui-même qui court à sa propre perte (le recours au nucléaire étant, comme dans le film de Kramer, l’exemple le plus éloquent).

Avec Le Dernier rivage, Stanley Kramer, lui, n’a pas recours à des explosions ou autres effets spéciaux dévastateurs. La finalité « fin du monde » ne l’intéresse pas en soi, ce n’est qu’un prétexte pour explorer les angoisses inhérentes aux êtres humains. Comment ces personnages, qui finalement pourraient représenter tout un chacun, appréhendent-ils leur fin annoncée ? Que faire quand il n’y a plus rien à attendre ? La palette de personnages que met en scène Stanley Kramer démontre la déchéance d’un état d’esprit face à la totale impuissance d’un corps. Le film possède un certain nombre de défauts et de longueurs considérables mais la mise en scène fait preuve d’atouts non négligeables, notamment dans le traitement de ses personnages et la manière dont Stanley Kramer étudie l’évolution de la dévastation psychologique qui les atteint chacun progressivement. Les causes de cette situation tragique (la Troisième Guerre mondiale, le recours au nucléaire, les radiations qui s’en suivent) sont assumées par un hors-champ bien maîtrisé, il y a peu de plans de villes désertes, tout ce qu’il se passe ailleurs n’est que suggéré, on ne sait pas trop ce qui est en train d’arriver au-delà du cocon filmique dans lequel se meuvent nos cinq protagonistes.

 

 
Durant les deux heures de film, le spectateur est comme enfermé dans un huis clos. Dwight, Moira, Julian, Peter et Mary (1), expriment, chacun de manière différente, leur anxiété face à la situation. Certains font preuve de cynisme comme Julian (fabuleux Fred Astaire) tandis que d’autres, à l’image de Mary, affichent un désespoir à la fois tragique et pathétique. Les peurs et angoisses explorées à travers ces personnages sont propres à toutes les époques. Il y a quelque chose qui, d’eux à nous et d’hier à aujourd’hui, reste inchangé. Peut-être parce que leurs réactions sont profondément humaines.
  
Toujours à travers ces personnages, le thème de la solitude est lui aussi beaucoup exploité tout au long du film. Chacun d’eux essaie à sa façon de trouver une sorte de réconfort éphémère, notamment à l’aide de deux choses : l’alcool et l’amour. L’alcool est très présent et imbibe Julian comme Moira, mais il constitue un moyen peu efficace lorsqu’il s’agit de faire face aux problèmes et à la situation catastrophique. L’effet de groupe et de fête ne marche qu’un temps et ne constitue pas un assez grand réconfort pour pallier aux tourments qui animent les personnages. Alors il y a l’amour, car l’une des plus grandes angoisses de l’être humain est de finir ses jours seul. Moira et Dwight vont ainsi s’éprendre l’un de l’autre, comme si le doux sentiment qui les unissait allait faire passer plus facilement la pilule « fin du monde ». Il n’en sera rien car, finalement et fatalement, face à la mort où à la fin des temps, ils seront seuls. Comme ils l’ont toujours été. Moira reste seule sur le quai tandis que Dwight s’enfonce tout aussi seul dans la mer à bord de son sous-marin et que Julian finit par s’intoxiquer de solitude et de gaz dans son bolide de course. Et la fin du monde n’est plus qu’un hors-champ…

(1) Respectivement incarnés par Gregory Peck, Ava Gardner, Fred Astaire, Anthony Perkins et Donna Anderson.

Titre original : On the Beach

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Durée : 134 mn


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