L’affaire Abel Trem

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Comment un petit mensonge prend des allures d’affaire d’Etat !

Poétique et politique

Pour son troisième long-métrage, après deux films non conventionnels remarqués (Inexplicable Reason en 2014 et Bad Poems en 2018), Gábor Reisz – qui avoue ne pas savoir se situer politiquement avec précision – revient avec cette Affaire Abel Trem purement inventée mais qui aurait pu être vraie. Rares sont les cinéastes hongrois, raison de plus pour se pencher sur ce film à la fois drôle, inventif, presque underground et politique malgré lui. C’est une réflexion certes sur le mensonge, mais bien sûr sur les réseaux sociaux et les fake news qui se sont abattus irrémédiablement sur tous les pays du monde. Abel Trem est un ado amoureux, un peu paresseux qui va passer son bac au moment où, en 2023, la police réprime brutalement des manifestations de lycéens protestant contre l’état du système scolaire hongrois et notamment un projet de loi réduisant l’autonomie des enseignants. 

Passe ton bac d’abord

Avec des parents hyper protecteurs qui ne rêvent que de réussite pour leur fils dans leur petit appartement d’intellectuels où le frigo est souvent détraqué, alors que lui n’a d’yeux que pour sa copine dont il est fraîchement amoureux, Abel n’a aucune envie d’aller passer son bac. Il s’y rend malgré tout et va déclencher sans le vouloir, ni le prévoir, une tempête politico-médiatique qui secouera même le petit monde politique hongrois peu réputé pour ses idées progressistes. Tout cela parce qu’il est allé passer son oral d’histoire-géo en arborant une cocarde patriotique. Il mettra sur le compte de ce signe politique son échec à l’examen et tout sera bouleversé rapidement et presque inexorablement. « La pression de ses parents sur Abel est la même que celle que j’ai subie durant mon lycée, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film : cette pression familiale qui veut vous pousser vers l’université même si vous ne le souhaitez pas. Je me souviens très bien de cette période sensible : vous n’avez que 18 ans, c’est la première fois que vous tombez amoureux, la première fois que vous prenez vraiment conscience de l’environnement autour de vous, et c’est très difficile de prendre une décision sur son propre avenir. C’est cet état que j’ai voulu retranscrire dans le film. »

Humour de l’Est

Le film est un petit bijou qui ne se départit jamais de cet humour proche de l’absurde et d’une ambiance propre aux ex-pays socialistes qui faisaient le charme des films de l’Est à l’époque. Même les décors archi-réalistes, les vêtements et l’image quelque peu passée jouent à rappeler ces années dont plus personne ne se souvient vraiment et qui marquaient d’un sceau un peu ringard le socialisme d’Etat. Pourtant il n’en est plus rien maintenant en Hongrie, passée depuis vers un libéralisme nationaliste tenu par la présence de Viktor Orbán. Sans tomber ni dans la caricature, ni dans une peinture politique de la société et la politique hongroises, le film de Gábor Reisz est une belle réussite aidé par l’image de Kristóf Becsey, sur un scénario coécrit par Gábor Reisz et Éva Schulze, des décors de Zsófia Tasnádi et des costumes de Rebeka Hatházi qui participent à la re-création d’un univers à la fois traditionnel et complètement fou. Petit budget certes, mais grandes idées et belle intuition, « avec mon directeur de la photographie Kristóf Becsey, nous avons choisi une approche de type Dogma : de la lumière naturelle, pas de mouvements de caméra, des décors aussi réels que possible, une petite équipe, précise encore Gábor Reisz. C’était une question de budget, mais aussi parce que j’aime vraiment ce style : on est très souple, on peut improviser. Avec Kristóf, nous nous connaissons depuis mon premier long et nous avons travaillé très vite, en tournant parfois dans cinq décors différents dans la même journée. Et nous faisons à chaque fois une répétition sur place avant de tourner. Nous filmons cette répétition, nous regardons l’enregistrement et cela nous aide beaucoup pour décider de la manière dont nous allons vraiment tourner. »

Titre original : Magyarázat mindenre

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Durée : 127 mn


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