Le Zanskar est une contrée perdue, d’aucuns diraient oubliée du reste du monde sauf par quelques trekkeurs ou autres alpinistes en route pour des courses sublimes. Situé à l’extrême Nord de l’Inde dans la région du Ladakh, partie du Cachemire, il est sous administration indienne. Enclavé entre le Pakistan à l’Ouest, la frontière tibétaine fermée à l’Est et l’Afghanistan au Nord, ce pays offre des paysages à couper le souffle. Ces hauts plateaux peuvent plafonner jusqu’à 4000 mètres, cernés par des sommets qui culminent à plus de 5000. Dans ces conditions, le Zanskar est coupé du reste du monde quasiment huit mois par an par la neige.
Pourtant, le « Petit Tibet », comme on l’appelle, n’est pas un no man’s land. Des petites communautés, majoritairement bouddhistes, d’agriculteurs et d’éleveurs y vivent une grande partie de l’année en hibernation, dans des conditions matérielles très difficiles et austères. Ces espaces grandioses constitueront le décor de ce documentaire magnifique que nous offre Frederick Marx. Des villageois seront ses acteurs. Tout démarre au monastère de Stondge (Zanskar) où Guéshé Yonten, un jeune moine bouddhiste, informe Marx et son équipe de son intention de conduire quinze enfants à l’école de Manali, capitale de l’Etat de l’Himachal Pradesh, sur les contreforts de l’Himalaya. C’est l’histoire de ce voyage ô combien périlleux qui nous est ici contée.
L’objectif de l‘aventure est de la plus haute importance car la scolarisation de ces enfants est la condition de la survie de la culture Zanskari. Les moines veulent refaire le périple qu’ils ont eux-mêmes effectué trente ans auparavant.
Mais le projet est périlleux : trois routes sont possibles pour rejoindre Manali. Guéshé opte pour l’option plein sud, la plus directe, à cheval et à pied, par des cols de plus de 5000 mètres.
En faisant toute confiance à Guéshé, Marx et son équipe légère s’embarquent dans cette équipée déraisonnable, selon toute probabilité promise à l’échec – si l’on tient compte du principe de précaution. Mais la force tranquille qui émane des accompagnateurs et des bambins augure d’une toute autre perspective. Marx filme des scènes d’adieux déchirantes dans ce petit village entre les enfants et leurs parents. Puis c’est l’expédition et des scènes bouleversantes et angoissantes mais toujours superbes, dont le passage du convoi au pied d’une moraine d’où chutent d’énormes pierres. Et le moment cocasse et inattendu ou les yachs sont mis à contribution pour tracer un chemin dans la neige. Malgré les conditions pénibles du périple, en dépit du froid et de la fatigue, des désillusions et de l’incertitude de toucher au but, jamais ne transparaissent de nervosité ni de disputes, encore moins de démission.
Chaque séquence du film est un émerveillement car nous sommes bien à mille lieux de toute modernité et de la décadence qui lui est consubstentielle. Ici, de ces sourires qui crèvent l’écran – mais avec une douceur extrême – émanent une sérénité et même une joie absolument boulversantes. Ce n’est pas un choc qui nous est asséné mais, au contraire, une sensation de bien-être proche de la joie qui nous envahit. Peut-être est-ce la perception de la cadence raisonnable avec laquelle s’écoule le temps à travers la marche tranquille de la petite troupe, ou celle de la beauté fulgurante des paysages ou bien de la noblesse et du dévouement de ce jeune moine et de la cause qui l’anime qui nous touchent au coeur ? Probablement un mélange de tout ça. Mais au-delà du sentiment d’un autre temps de la sagesse bouddhiste et du courage simple que nous procure ce récit, le documentaire de Marx a la vertu – grâce à plusieurs mois de tournage – de nous raconter tout simplement une histoire émouvante, splendide et vécue.