L’imagination populaire autour du film d’espionnage rend le genre presque incompris, représenté par un amas de gadgets bling-bling vite démodés (007) ou par une profusion de gags parodiques avilissant la profession (OSS 117). Différentes figures populaires relativement peu crédibles mais agréables à l’écran. Dans La Taupe, les espions n’ont pas de noms, soutiennent une certaine apologie de la discrétion, obéissent sans poser de question et meurent sans cérémonie. Cette adaptation du spécialiste John Le Carré par le réalisateur de Morse y conserve toute la complexité du roman se délectant sur ses espions.
Voilà une œuvre qui mérite toute votre attention. Pas seulement pour des raisons évidentes de casting fulgurant ou de mise en scène subtile, mais surtout pour son intrigue labyrinthique méritant le maximum de votre concentration. Un coup d’œil furtif sur votre voisine de fauteuil et vous prenez le risque de rater un détail déterminant ou un personnage clé pour la compréhension de l’enquête menée par Smiley, l’espion discret (pléonasme) et abandonné, interprété par le sublime Gary Oldman. L’histoire se déroule en pleine Guerre Froide, en 1973, l’ancien numéro deux des services secrets britanniques est secrètement missionné pour trouver l’agent double qui distribue des informations aux russes au sein même de son ancien service. Cinq suspects dont lui-même qu’il va devoir espionner et comprendre avec l’aide d’un jeune employé infiltré incarné par le prometteur et roux Benedict Cumberbatch. Un scénario simple à première vue mais qui mélange les intrigues de nombreux personnages et nous plonge dans les méandres du quotidien paradoxal permanent d’un espion. Car dans La Taupe, c’est de cela dont il s’agit. Progressivement nous nous désintéressons de connaître l’identité de l’insectivore recherché au profit de la situation des différents protagonistes de l’histoire où se mélangent histoires d’amour impossibles, multiples trahisons personnelles et amitiés dissolues. Pour réussir à nous accrocher, La Taupe bénéficie d’un cheptel d’acteurs magnifiques, tout en sobriété, mélancolie et dissimulation (Colin Firth, Ciaràn Hinds, Tom Brady, John Hurt, une longue liste appétissante).
Le réalisateur réussit à poser son regard d’auteur sur le roman qu’il adapte et évite la banale transposition d’une histoire écrite à l’écran. Il observe ces étranges individus qui passent leur vie à mentir et à entendre des salades et leur offre une richesse humanisante nous montrant des hommes et des femmes unis dans le secret mais désespérément seuls quand ils rentrent à la maison, de vulgaires employés au quotidien professionnel exceptionnel mais dont ils ne peuvent se venter. Littéralement sacrifiés, ils laissent leur bonheur de côté pour le bien de l’Etat. L’époque, les décors et les enjeux de la Guerre Froide sont idéalement retranscrits nous plongeant aisément dans cette période assourdissante de perpétuels mouvements silencieux. Par tant de virtuosité dans la sobriété, La Taupe se présente comme un véritable représentant du film d’espionnage et secrètement comme un excellent film d’espions.