La Rançon de la gloire

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Chaplin exhumé dans les tous les sens du terme, mais pour quelle comédie ?

S’inspirant d’un fait divers maintenant oublié et qui ressemble presque à un canular, Xavier Beauvois sort du genre grave dans lequel le cinéma l’avait nolens volens cantonné. Loin de Nord, son chef d’œuvre de 1992, et Des Hommes et des dieux, le film de 2010 qui l’a imposé au monde entier, La Rançon de la gloire jongle maintenant avec la comédie et le drame en partant du rapt du cercueil de Charlie Chaplin qui eut vraiment lieu quelques mois après sa mort en 1978 à Vevey (Suisse). Deux immigrés, l’un Polonais, l’autre Bulgare, ayant fui le communisme de leurs pays, décident de voler le cercueil de celui qui avait fui l’Amérique parce qu’il était accusé de communisme. Incroyable, mais vrai : il est des choses que le hasard n’aurait pas l’imagination d’inventer – c’est pourtant, ici, le cas. Traités de « charlots » par le juge lors de leur procès, les deux malfaiteurs qui auraient pu payer très cher leur viol de sépulture, se sont désormais faits oublier et Xavier Beauvois n’aimerait pas qu’on les redécouvre, alors que la famille Chaplin leur a pardonné depuis le début de cette aventure.

Il aurait fallu un Federico Fellini pour exploiter ce sujet avec le baroque et l’exubérance nécessaires car, en plus d’être le grand cinéaste que le monde entier n’est pas près d’oublier, Charlie Chaplin était un enfant du cirque et, dans ce film, le cirque n’est cité qu’à titre d’anecdote, même si Xavier Beauvois s’est fait aider par l’un des propres fils de Chaplin lui-même, Eugène Chaplin. Mais quelle drôle d’idée de demander à Chiara Mastroianni d’interpréter le rôle de la directrice du cirque !
Ailleurs, le film se veut un hommage au grand réalisateur qui a su réinventer le cinéma : La Rançon de la gloire devient volontiers référentiel avec la citation de deux de ses films, Les lumières de la ville (1931) et La cure (1917) dans lequel Charlie Chaplin fait une apparition, torse nu sur le bord d’une piscine, plan dans lequel il se contente de regarder et c’est « une leçon de cinéma » ainsi que le dit lui-même Xavier Beauvoir, conseillé dans ce choix par Jean Douchet. D’ailleurs, tout son film est habité par le regard de Chaplin qui repose à quelques mètres de l’endroit où la scène de l’exhumation a été tournée – Xavier Beauvois ayant eu jusqu’à la chance d’obtenir des ayant droits de pouvoir tourner très exactement dans le château du maitre.

 

On le voit bien, le film tient surtout, malgré quelques maladresses et lenteurs, sur trois personnages particulièrement bien choisis et qui parviennent à lui donner une autre dimension. En prenant de la distance avec les ravisseurs d’origine, Roschdy Zem, habitué aux films de Xavier Beauvois, campe un Osman Bricha particulièrement naïf qui veut sauver sa femme à tout prix. Le nouveau venu chez Beauvois, c’est Benoît Poelvoorde, toujours formidable et inventif, et qui campe un Eddy Ricaart à la fois ringard et roublard qui se transforme peu à peu devant nos yeux en clown amoureux, vague réminiscence de Charlot. Quant à Peter Coyote, il campe John Crooker, le majordome, toujours sur sa réserve et non dépourvu d’un certain humour anglo-saxon notamment lorsqu’il constate que son maître est de nouveau sur le devant de la scène.

Mention particulière pour la directrice de la photo, Caroline Champetier, qui collabore avec Xavier Beauvois depuis N’oublie pas que tu vas mourir (1995) ; à Brigitte Moidon, la directrice du casting, qui a découvert, en plus, la petite fille qui incarne la fille à l’écran de Roschdy Zem, Seli Gmach et à Tibie, la guenon rescapée d’un cirque en flammes. Comme le confie si bien Xavier Beauvois dans le dossier de presse du film : « Ce sont des moments que je préfère […], ceux où un comédien vous fait cadeau d’une action ou d’un geste imprévu. »
 

Titre original : La Rançon de la Gloire

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Durée : 114 mn


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