La Nuit a dévoré le monde

Article écrit par

Les zombies français se portent bien.

Il y a les soirées réussies, les soirées ratées et les dernières soirées avant la fin du monde. Sans le savoir, Sam a accepté une invitation pour la dernière catégorie. Venu chez son ex pour récupérer des cassettes, perdu au milieu d’une foule d’invités qu’il ne connaît ni ne veut connaître, il s’isole dans une pièce où il finit par s’endormir. De l’autre côté de la porte, les cris changent de nature. A son réveil, Sam constate qu’aux traditionnels signes d’une fête réussie s’ajoutent de larges traînées de sang sur les murs. Dehors les rues sont désertes, à l’exception de plusieurs zombies déambulant entre les voitures accidentées à la recherche de viande fraîche. Dans l’immeuble haussmannien devenu camp retranché, Sam est seul face à la horde.
 

L’enfer c’est les autres…

On n’entonnera pas pour la millième fois le refrain sur la sous-représentation du cinéma de genre français…mais tout de même. Accordons-nous une phrase pour la regretter car, aussi peu nombreux soient-ils, des films comme ceux d’Eric Valette (Maléfique, 2002), Julia Ducournau (Grave, 2017) ou encore Pascal Laugier (Martyrs, 2008) témoignent non seulement de l’existence de ces films mais encore de leur qualité. Le « cinéma français » ne serait donc pas condamné à la production en série de comédies pas drôles à base de Christian Clavier – pour prendre le pire des cas. Ici, c’est donc à la figure du zombie que s’attaque Dominique Rocher pour son premier long métrage. Figure polysémique – et à vitesses variables – du cinéma d’horreur s’il en est, elle renvoie ici à l’Extérieur avec tout ce qu’il peut avoir d’inconnu et de dangereux. Si Sam se retrouve seul survivant de l’immeuble, la solitude était déjà son lot aussi bien durant la fête que pendant son enfance. D’abord forteresse imprenable, l’immeuble se transforme en prison ; Sam s’y réfugie pour survivre avant d’en devenir le captif volontaire à présent que les autres ont révélé leur véritable dangerosité. La créature la plus étrange du film n’est ainsi pas le zombie – être instinctif ultra prévisible par essence – mais bien Sam, à rebours des figures héroïques qui peuplent souvent les survival (comme le très ratéWorld War Z – Marc Forster, 2013).
 


…Et soi-même

Le personnage campé par Anders Danielsen Lie s’avère être un McGyver du quotidien, pressé de rationaliser une situation qui ne l’est pas vraiment. Sam organise sa survie sans oublier de s’octroyer quelques distractions du genre tir au flash-ball (comme un rappel de L’Armée des morts – Zack Snyder, 2004]) sur cibles presque mouvantes et cessions musicales qui détournent et réinventent chaque objet du quotidien dans un monde où le sens est désormais bien flottant. Ces dernières séquences – parmi les plus inventives du film – tiennent aussi du retour à l’enfance : dans un monde où l’on est seul, la liberté de faire ce que l’on veut comme et quand on le veut est totale. Rentrer chez les gens, avoir un immeuble entier pour terrain de jeux, tout cela est un fantasme enfantin qui tourne vite au cauchemar quand on est seul à en profiter. Sam finit par chercher une compagnie à tout prix (auprès d’un animal ou d’un zombie interprété par Denis Lavant, meilleur effet spécial du film) qui l’effraie pourtant toujours quand elle se présente à lui. Si la menace extérieure se fait parfois oublier, le film s’empresse de nous la rappeler dans la séquence finale. Tout s’accélère, des silhouettes de zombies prises dans la fumée changent l’angoisse en peur et le film finit de nous convaincre que Dominique Rocher est vraiment un réalisateur à suivre.

Titre original : La Nuit a dévoré le monde

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 94 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

La peau douce

La peau douce

Avec « La peau douce », François Truffaut documente une tragique histoire d’adultère seulement conventionnelle en surface. Inspirée par un fait divers réel, la comédie noire fut copieusement éreintée au moment de sa sortie en 1964 par ses nombreux détracteurs; y compris à l’international. Réévaluation.

La garçonnière

La garçonnière

A l’entame des “swinging sixties” qui vont pérenniser la libération des mœurs, « la garçonnière » est un “tour de farce” qui vient tordre définitivement le cou à cette Amérique puritaine. Mêlant un ton acerbe et un cynisme achevé, Billy Wilder y fustige allègrement l’hypocrisie des conventions sociales et pulvérise les tabous sexuels de son temps. Un an après avoir défié le code de
production dans une “confusion des genres” avec sa comédie déjantée Certains l’aiment chaud, le cinéaste remet le couvert. La satire aigre-douce et grinçante transcende la comédie; défiant les classifications de genre.