La Grève – Sergueï Eisenstein

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Datant de 1924, La Grève est le tout premier film de Sergueï Eisenstein. Comme son nom l´indique, il décrit une grève se déroulant, en 1912, dans une usine de la Russie tsariste.

Poussés à bout par des cadences infernales, et espionnés par des contremaîtres à la botte des grands patrons, les ouvriers se rebellent. En conséquence, l’armée du Tsar réprime le mouvement social de manière sanglante.
Que reste-t-il, 84 ans après, de La Grève ? Les chefs d’œuvre sont-ils vraiment éternels ? En un mot : oui. Avant l’illustre Cuirassé Potemkine, La Grève assure de la virtuosité d’Eisenstein. Rétrospectivement, une telle maturité artistique pour un premier film est bluffante. Le montage nerveux, les angles de vues improbables, les gros plans déformant – déshumanisant – les directeurs de l’usine : La Grève se regarde comme un condensé de modernité cinématographique, une véritable grammaire de ce qui constituera plusieurs décennies plus tard l’essence du cinéma contemporain. C’est cette prouesse qui nous fait oublier le propos du film qui, par contre, a gravement vieilli. Parler de film de propagande n’est pas exactement juste, parlons plutôt de film de commande pour un pouvoir soviétique qui au début des années 20 cherche à asseoir sa légitimité sur les masses russes, des masses majoritairement analphabètes. L’URSS voyait, à juste titre, le cinéma comme le plus efficace des moyens de communication modernes pour « avertir et éduquer le peuple ». Il en ressort donc, en 2008, une impression de manichéisme (gentils ouvriers vs méchants patrons) gentiment surannée.
C’est pourquoi les bonus préparés par le distributeur, Carlotta Films, avec la cinémathèque de Toulouse, se regardent avec plaisir. Dans le premier documentaire, Natacha Laurent, historienne du cinéma soviétique, remet justement le film dans la perspective politique de l’époque. De son côté, Stéphane Sirot, spécialiste des mobilisations sociales, discute de la représentation populaire de la grève de la Russie tsariste à nos jours. Par ailleurs, Pierre Jodlowksi, compositeur de la musique d’accompagnement, retrace les origines de son projet. Enfin, last but not least, le DVD contient un court-métrage, Le Journal de Gloumov, qu’Eisenstein avait tourné en 1923. Un beau coffret, donc, à se faire offrir pour les fêtes…


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