Histoires de Fantômes Chinois (Ching Siu-tung, la trilogie, 1987-1991)

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Trilogie culte et étendard du cinéma hongkongais de l’époque.

Le début des années 90 a marqué  l’aboutissement d’une immense trilogie, née sur des contrées orientales et issue d’une collaboration entre Tsui Hark et Ching Siu-tung. Le premier, véritable instigateur du projet, s’est chargé de la production et de l’écriture ; le second, de la réalisation. Histoires de Fantômes Chinois trouve sa genèse dans une nouvelle chinoise du 17ème siècle (de Pu Song-ling) et dans l’un des coups de coeur du réalisateur de Detective Dee : The Enchanting Shadow de Li Han-hsiang (1960). Grâce aux trois volets, le cinéma hongkongais acquiert ses lettres de noblesses au niveau international.

Une trilogie et une explosion de genres

 

   

Histoires de Fantômes Chinois possède un fil conducteur. Un jeune homme ingénu arrive dans un lieu hanté et est séduit par une femme (un spectre ou un humain). S’ensuivent alors des combats entre fantômes et êtres vivants. Le pitch est simple mais il donne lieu à une myriade de genres cinématographiques dans la trilogie. Celle-ci apparaît comme un fatras mêlant avec panache, fantastique, mélo amoureux, comédie (musicale) fondé sur un comique esssentiellement gestuel, facile mais efficace (hormis dans le troisième film, très redondant). Fantômes, puissances maléfiques dégoulinantes et revenantes aux ongles semblables à des tentacules fourmillent dans les trois opus. 

 

    

Face aux spectres qui envahissent les vieux temples comme des mauvaises herbes, se tient une galerie de moines taoïstes aguerris. Histoires de Fantômes Chinois est un ensemble de films d’arts martiaux avec des joutes nocturnes, accompagnées de chansons vivifiantes (signées James Wong). Lorsque l’énergie s’estompe, la sensualité et le lyrisme s’installent, échappés d’une cithare hypnothique, comme le chant d’une sirène. L’impossible intrigue amoureuse, entre un humain et une femme fantôme (premier et dernier volets) se déroule, à côté des affrontements. Le spectre féminin vit une histoire qui est, par avance, vouée à l’échec. Les émois amoureux sont suggérés à travers un flashback en chanson et au fil des changements de tenues des fantômes. La couleur des robes est en effet chargée d’une symbolique. Dans le mélange luxuriant des genres, le mélodrame amoureux parvient à se frayer dignement un chemin, aidé par une poésie que récitent les deux amoureux et par le casting. Les jeunes Joey Wong et Leslie Cheung (qui avait déjà travaillé avec Tsui Hark dans Le Syndicat du crime) apportent beaucoup de lyrisme et de grâce à l’ensemble.

 
 


Orient et Occident

Hsitoires de Fantômes Chinois est une sorte de cratère d’où jaillit une rencontre entre des éléments variés. L’ensemble combine différents genres et diverses inspirations, aussi. L’oeuvre a vu le jour à partir d’une fascination pour The Enchanting Shadow (une première version de la nouvelle de Pu Song-Ling, réalisée par Li Han-hsiang) et du folklore chinois. La trilogie embrasse un univers peuplé d’habitants en costume traditionnel et de moines en robe taoïste. Ce monde est aussi riche en croyances et superstitions. Objets sacrés, inscriptions religieuses et formules magiques ("Pao-Yeh-Pao-Lo-Mi") fusent afin de contrer l’ennemi. La pluie fait partie des superstitions. Lorsque l’eau apparaît sous la forme d’une averse, elle constitue un présage funeste. C’est lors d’une averse que les personnages sont contraints de se réfugier sous un abri… peu recommandable. La venue de la pluie correspond à celle de mésaventures.

 

   

Côté occidental, l’esprit de Tsui Hark a été frappé par le long métrage de Sam Raimi, Evil Dead. La trilogie en garde des traces, avec une caméra rampante, des travellings au ras du sol, marquant l’arrivée des fantômes. Autre emprunt : tous les êtres surnaturels qui hantent la forêt. Les affrontements à l’épée, flanqués d’effets spéciaux, résultent de l’influence de Star Wars (l’épisode IV était sorti une décennie aupravant). A l’arrivée, l’ensemble est détonnant et annonce la suite de la filmographie très riche et variée de Tsui Hark (passant des films policiers aux drames, et des films d’action aux comédies les plus barrées comme Le Festin Chinois). Hsitoires de Fantômes Chinois présente une action opulente et un rythme débridé. La trilogie est un ballet de combats, dopé par des travellings aériens et accompagné par des chants traditionnels. Dans ces chorégraphies où s’affrontent les forces du Bien et du Mal, le collaborateur de Tsui Hark y intègre les longs voiles des spectres, dessinant des courbes douces et sensuelles, à contempler comme une estampe.

Qui est qui ?

Le personnage principal est un naïf, évoluant clairement du côté du Bien. En revanche, la personnalité d’une tripotée de protagonistes n’est pas aussi limpide. Les deux revenantes, Hsiaso-tsing et Lotus, ne sont pas vissées sur le territoire du Mal. Les jeunes Fong et Ning Tsai-shen seront les premiers à s’en rendre compte. L’univers n’est ni noir, ni blanc. Le maléfique se pare du masque de la vertu et vice-versa. Dans le premier volet déjà, les personnages étaient souvent confondus avec des malfaiteurs dont les têtes figuraient sur des affiches, collées au coin d’une rue. Lorsque l’ingénu entre dans la ville, des gardes, à la recherche d’un criminel, demandent à un passant : « Est-ce que c’est toi ? ». Cette question est une phrase-clé de la trilogie. Les personnages ignorent à qui ils ont réellement affaire. La vieille dame à la langue démesurée génère aussi un trouble en raison de son aspect androgyne. 

 

    

La méprise et l’ambiguïté du moi apparaissent surtout dans le deuxième opus. L’une des soeurs se transforme en démon tandis que le grand prêtre s’avère être un monstre maléfique, respecté par la cour, sous son apparence humaine. Ce dernier personnage revêt plusieurs masques. Il prend également les traits de Bouddha, afin de semer la confusion. La méprise est au coeur de ce volet. Des gardes arrêtent Ning Tsai-shen à la place d’un autre. Le personnage principal passe lui-même pour Maître Chu (mais reste toujours une figure du Bien).

Un miroir des appréhensions politico-historiques

Les pistes sont brouillées, les responsables politiques sont gangrenés et c’est le règne du désordre. La notion de chaos n’est pas un hasard, il  résulte du contexte historique entourant la réalisation du film. Ce dernier sort en 1990, soit sept ans avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Cette période correspond à une phase d’interrogations et d’appréhensions. Histoires de Fantômes Chinois 2 a hérité de des questionnements de l’époque, comme en témoigne la confusion du moi, chez une flopée de personnages. Le sentiment de perdition était déjà palpable dans le premier film où Maître Yen s’était retiré dans le temple Lan Jou, déçu par de « vils ministres ». Les personnages ne savent plus à quel saint se vouer. L’assemblée nocturne autour du grand prêtre reflète cette impression d’abandon. Les dirigeants ne sont plus que des carcasses.

 

Un autre événement a aussi laissé des traces dans le second volet, très sombre, malgré son dénouement. Un an aupravant avait lieu le massacre de la place de Tian’Anmen. Les manifestants réclamaient moins de corruption et davantage de démocratie puis tout s’est terminé par un bain de sang. L’ambivalence du moi s’affiche dans l’oeuvre entière, qui elle-même est un carrefour entre une multitude de genres cinématographiques. Ainsi, l’idée de fragmentation imprègne fortement la trilogie et exprime les appréhensions politico-historiques d’un peuple.

L’ensemble s’essoufle en bout de course. Tony Leung interprète cette fois-ci le rôle de l’ingénu, mais les ressorts du comique sont usés jusqu’à la corde. Le troisième volet est un remake du premier. Son aspect hétéroclite est non pas synonyme d’une richesse mais plutôt d’un empêtrement et d’une dispersion. Par la suite, Tsui Hark a adapté Histoires de Fantômes Chinois sous la forme d’un long métrage d’animation, beaucoup moins retentissant. Cependant, la trilogie a eu un impact, ainsi qu’en témoigne sa postérité (Hero, Tigre et Dragon, Le Secrets des poignards volants) et a contribué à l’émergence du cinéma hongkongais dans le paysage cinématographique international.

 


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