Faux départ : Persistance de Guillaume D.

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37 ans. Tragédie d’une vie. Singulier accomplissement cinématographique. Pour ceux qui veulent croire en une « survie » par l’art.

Si la vie fut jusqu’au bout pour Guillaume Depardieu un « combat », une lutte acharnée aboutissant malheureusement aujourd’hui à une mort prématurée, force est de reconnaître que le cinéma sut, surtout dans les dernières années, être en retour le lieu d’une belle victoire. Regardant Versailles, de Pierre Schœller, son avant-dernier film sorti en salles (lui offrant également peut-être, in extremis, son plus grand rôle), ne cessait de nous frapper son hallucinante « hauteur », son aptitude à investir la scène, le plan en une vaillance, une dignité peu égalées. Le jeune homme, y incarnant un SDF solitaire et un peu résigné à une non-réconciliation avec la norme, donnait corps à une figure assez singulière, sinon inédite dans le cinéma français actuel : celle d’une forme de « sur-vivant », d’un être se débrouillant comme il le pouvait avec les limites physiques infligées par l’expérience du monde.

                                                                                                  

L’émotion suscitée par le récit d’un « Charlot » des bois de Versailles envisageant une réinsertion au contact d’un « Kid » porteur de promesses, dans tous les cas d’une « responsabilisation » nouvelle, s’accompagnait d’une fascination muette devant le charisme du personnage, l’autorité de l’interprète. Pour cette raison sans doute, certainement, à l’émotion, l’amertume accompagnant la nouvelle de sa mort se mêle le sentiment presque « heureux » de l’accomplissement d’un destin. Comment conclure à la vanité d’une vie lorsqu’aux chocs du réel (maladie, amputation, divorce, filiation douloureuse…) répond ainsi la grâce d’un rééquilibre  par l’art  ? Les derniers rôles de Guillaume Depardieu, ceux ayant porté sans esquive la trace de sa  réalité  (Pola X ; Versailles ; La France ; Ne touchez pas la hache ; De la guerre…), en plus de tenir lieu de preuves d’un talent bien à lui (Guillaume n’était pas Gérard Depardieu, ce qui n’est une insulte pour aucun), étaient dans leur succession même empreints d’une cohérence assez miraculeuse.

César du meilleur espoir masculin en 1996, pour le film Les Apprentis, de Pierre Salvadori (cinéaste qui lui fit par ailleurs croiser la route, quelques années plus tard, d’une autre « nature » de cinéma, elle aussi brûlée trop tôt, Marie Trintignant, dans Comme elle respire, 1998), Depardieu partait, comme nombre de jeunes acteurs français, du meilleur pied : celui d’un devenir « jeune premier », de l’alliage bénéfique d’une séduction « bogoss » immédiate, et d’une construction progressive de carrière durable tissée sur le double fil du « populaire » et de « l’auteurisme ». Déjà remarqué en 1990 dans Tous les matins du monde, d’Alain Corneau, où il incarnait en un mélange de douceur juvénile et de maladresse fougueuse le personnage du musicien Marin Marais jeune (Gérard Depardieu prêtant ses traits au même dans ses dernières années), Guillaume Depardieu détonait un peu dans la catégorie « révélations » par l’inévidence de son désir préalable de cinéma. Sortant d’une adolescence marquée par le déni de sa star de père comme par une possible quête de reconnaissance par la « délinquance », l’autodestruction, le garçon, débutant sa carrière d’acteur dans un film le réunissant presque symboliquement à qui l’on sait, s’imprégnait d’un  au-delà  du cinéma : se retrouver  finalement  dans le relais narratif d’une fiction.

  

Le pari n’était manifestement pas si bête : Guillaume et le cinéma ont finalement fait bon ménage, sa légitimité d’acteur ne sera jamais niée. Les retrouvailles du père et du fils, sur les écrans, dans un film subtilement intitulé « Aime ton père » (Jacob Berger, 2000), si elles ne marquèrent pas par leur seule dimension cinématographique, furent, par la confrontation directe de leurs deux corps, leurs deux jeux, l’occasion d’une intéressante  mise au point . Gérard poursuivait une carrière vieille de trente ans, faite de hauts et de bas, discutable en tellement d’endroits, mais d’une admirable longévité. Guillaume, dix ans après ses débuts, un peu « atteint » par la vie, préservait la fraîcheur et la conviction d’un enfant sauvage… Surtout, Guillaume revenait de Pola X, dernier long-métrage en date de Leos Carax, film noir de noir mettant en scène le progressif engouffrement d’un jeune homme de bonne famille dans les marécages d’une France cachée, peuplée de son refoulé, son négatif (immigration clandestine ; violence sourde d’une fin de monde…). Face à Gérard, Guillaume n’avait pas à rougir, pouvait – même provisoirement – se convaincre de n’être personne d’autre que lui-même : l’acteur dont la souffrance d’origine se mua peu à peu en une pleine existence, un ancrage monstrueux et passionnant dans le corps de – presque – tous ses films.
 

Si les circonstances de son décès restent encore assez floues (terrassé par une pneumonie contractée sur le tournage de son « prochain » film, L’enfance d’Icare, en Roumanie), si le sentiment d’une obstination du sort à faire de la vie de cet acteur une « tragédie annoncée » (combien de fois ne s’est-on pas étonné de le voir survivre au pire), ne peut que nous traverser, resteront inoubliables pour beaucoup les cris, les rugissements de Guillaume D. Tout chez lui semblait colère, refus, obstination. Rien pourtant ne pouvait laisser conclure à une quelconque « posture » néo-révolutionnaire, un moindre narcissisme plus ou moins rebelle. Jusqu’en ses travers judiciaires, ses aspérités les plus sombres, c’est d’un appel désespéré au mouvement, d’une quête du « rattachement », de la fièvre collective qu’il semblait animé. Sa fureur était d’autant plus respectable que s’y faisait jour comme l’espoir d’un réconfort prochain.

                                                                                                       


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