Dès la première séquence, nous sommes happés dans un univers chaotique, celui d’une jeune femme nommée Fatma. Violée par son cousin, elle décide de se terrer dans un mutisme qui effraie sa famille. Elle garde le silence et décide de quitter ses proches pour terminer ses études à Tunis. Après avoir empoché son examen de professorat, elle décide d’aller enseigner dans un bled perdu afin d’être une fois de plus seule et surtout dans un état de totale indépendance. Mais souvent l’être humain est rattrapé par ses sentiments. Fatma va ainsi tomber amoureuse. Elle va, pour la première fois, prendre la décision de s’unir à l’être aimé. La bêtise humaine pointera néanmoins son nez et Fatma, face à l’alternative, devra encore faire un choix…
De Samia à Inchallah dimanche en passant par Sous les pieds des femmes et Le Harem de Mme Osmane, le rôle de la femme dans la société maghrébine a été le fer de lance de nombreux auteurs. Constat d’amertume, envie de remettre certaines idées en place et de les dépoussiérer de leur image dégradante et vieillotte sont probablement les raisons qui ont amené ces cinéastes à se pencher sur ce cas fâcheux, qui malheureusement fait encore la une des journaux.
L’histoire de cette grande femme s’étale sur une dizaine d’année. Un lent processus de création mais aussi de transformation se déplie sous nos yeux. Nous découvrons Fatma sous différents aspects de sa vie : l’affront de son cousin ; le séjour à Tunis, << capitale de la douleur >> selon son père ; ses premiers émois amoureux ; sa première relation sexuelle ; sa décision cruciale et la scène finale dans laquelle Fatma se retirera à jamais de la vie.
À l’instar de ses confrères, Khaled Ghorbal, comédien de formation, a décidé de filmer un corps qui n’en finit pas de subir des coups : physiques par le viol du cousin (scène d’ouverture qui étouffe le spectateur), familiaux par l’aveuglement du père qui ne veut pas comprendre que sa fille est devenue une femme, sentimentaux avec son premier flirt, et vitaux avec les conséquences d’une liberté voulue. Car dès le début, dès le viol, elle prend conscience de sa place dans ce monde. C’est à partir de cette base qu’elle choisit de vivre à sa manière, délaissant les réflexions de son entourage.
Malheureusement pour elle, la vie choisit souvent de nous contredire. Les blessures restant marquées à jamais, Fatma devient à la longue une sorte de zombie, totalement désorientée, incapable de sourire, de jouir, de se battre… de vivre. Soit elle continue d’exister selon ses principes, soit elle finit par revenir en arrière afin de garder l’être aimé. Et c’est là que Ghorbal réussit à nous émouvoir. La distanciation de sa mise en scène est purement merveilleuse. Au lieu d’alourdir son propos par des dialogues académiques et surtout par des envolées lyriques qui seraient inappropriées (comme on en voit souvent dans le cinéma maghrébin), le cinéaste tunisien choisit le silence comme seule arme contre l’intégrisme religieux. À l’image, c’est indescriptible tant la beauté de Fatma, surgie de nulle part, dépasse royalement la laideur de l’intolérance. Et Dieu sait que cette prise de hauteur est fondamentale.
La femme et son rapport avec l’homme, la condition de celle-ci dans une société totalement incohérente. Une société, qui pour dissimuler sa honte, en devient hypocrite voire même dangereuse. Fatma, c’est tout cela et même plus. Avec ce film, Khaled Ghorbal signe une leçon de tolérance.