Exposition Le Daguerréotype français et L’Image révélée – Musée d’Orsay

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Le Musée d´Orsay revient sur deux figures majeures de l´histoire de la photographie, Daguerre et Talbot. Deux procédés, deux esthétiques animées par une même envie de fixer le réel.

Sans l’invention de la photographie, pas de cinéma. C’est une banalité de le dire.  Mais les meilleures inventions s’intègrent à une telle vitesse au quotidien qu’on en oublie les premiers tâtonnements et les déconvenues scientifiques qui les ont précédées.  Considéré comme un des pères fondateurs du procédé photographique,  Jacques-Louis Mandé Daguerre et ses fameux « daguerréotypes » font leur entrée officielle à l’Académie des sciences en 1839, pointée comme étant l’« année zéro de la photographie ». La même année en Grande-Bretagne, William Henry Fox Talbot présente ses « calotypes », premières photographies sur papier. Leurs deux procédés, bien que différents dans la réalisation et le rendu, ont permis de faire découvrir au public la représentation de la réalité, sans le truchement de la main de l’homme.

Naguère, Daguerre

« La découverte que j’annonce au public est du petit nombre de celles qui, par leurs principes, leurs résultats et l’heureuse influence qu’elles doivent exercer sur les arts, se placent naturellement parmi les inventions les plus utiles et les plus extraordinaires. Elle consiste dans la reproduction spontanée des images de la nature reçues dans la chambre noire (…) »

C’est par ce texte écrit en 1838 par Daguerre (1787-1851) que s’ouvre l’exposition sur les daguerréotypes. Nulle vantardise ici mais une conscience claire d’avoir inventé un procédé révolutionnaire. Tous les lauriers ne lui reviennent pas uniquement. Daguerre s’inscrit en bout de chaîne d’une lente gestation sur la sensibilité à la lumière des sels d’argents, remontant au XVIIIe siècle et résolue par Nicéphore Nièpce. Ses « héliographies », images obtenues par l’action de la lumière combinée à un badigeonnage d’asphalte ou bitume de Judée, un liquide visqueux, formé de poudre de charbon dissoute dans de l’huile de lavande datent des années 1820.
Les nouvelles vont bon train dans cette course à l’image. La réussite des premières impressions sur métal par Nièpce arrive rapidement aux oreilles du créateur du « diorama » (spectacle illusionniste qui faisait déjà la renommée de Daguerre, fondé sur les jeux de lumière et de transparence). Les deux scientifiques français décident de s’associer à partir de 1827. À la mort de Nièpce, Daguerre continue seul ses recherches.

Le Gourou et les « adorateurs du soleil » (1)

En 1837, le daguerréotype est né : sur une plaque de cuivre argentée, sensibilisée au bitume de Judée, exposée dans une chambre noire et révélée aux vapeurs de mercure, apparaît une image d’une grande précision dans le rendu des détails (on peut d’ailleurs regretter ici qu’un dispositif de l’époque ne soit pas présent dans les salles d’exposition), enfin la plaque est lavée à l’hyposulfite puis encadrée à l’abri de l’oxygène qui noircit l’argent. Faute d’investisseurs probants, Daguerre se tourne en 1838 vers François Arago, physicien et homme politique, enthousiasmé par un tel projet. L’annonce est faite devant l’Académie des sciences en 1839. Le procédé est alors acheté par l’Etat. Désormais libre de droits, il est offert à l’humanité (sauf aux anglais !).

Le procédé fait des émules, on s’arrache les appareils, des queues se forment à l’entrée des magasins d’optique. Tout le monde veut immortaliser la vue qu’il a de sa fenêtre ou veut « comme un seul Narcisse, (…) contempler sa triviale image sur le métal ». (2) L’exposition rassemble donc les « disciples » de Daguerre. La qualité des clichés est donc loin d’être une constante. Elle diffère selon la dextérité et la sensibilité de chaque opérateur, parfois illustres inconnus tâtant de l’appareil à l’occasion, parfois adroits magiciens de la chambre noire.

Question de genres

La photographie doit beaucoup à la peinture. Les grands genres picturaux – portraits et paysages – subdivisent l’exposition. Les paysages sont d’abord essentiellement parisiens (la moitié des studios avaient élu domicile au Palais Royal). Très vite les apprentis photographes ont la bougeotte et prennent les routes de France et du monde entier pour immortaliser dans le cuivre, villes et monuments à l’image du Baron Gros, surnommé « le Napoléon de la plaque ». L’histoire du photoreportage s’écrit aussi avec le daguerréotype. On découvre ici la première image de presse : « La barricade de la rue Saint-Maur avant l’attaque par les troupes du générale Lamoricière le dimanche 25 juin 1848 » de Thibault parue dans L’Illustration, hebdomadaire français de l’époque.

Les portraits sont majoritaires ici, qu’ils soient d’illustres inconnus ou des personnalités célèbres telles que le baron Haussmann. Les poses statiques, voire crispées des sujets photographiés prêtent souvent à rire. Totalement abandonné de nos jours, le portrait post-mortem était un genre à part entière vers 1850 : loin d’être morbide, la photographie permet aux familles du défunt de conserver l’image d’un proche décédé. Le portrait post-mortem en triptyque, d’une femme, vue sous trois angles différents est une des pièces majeures de l’exposition.

Vade Retro Satanas

L’accueil du daguerréotype a partagé le milieu artistique, en particulier les peintres. Exit les travaux des artisans graveurs et le traditionnel portrait peint, seule trace possible du passage sur terre jusqu’à présent. L’invention de Daguerre, moins coûteuse, fait évidemment de l’ombre et les artistes autant que les critiques voient d’un mauvais œil la mécanisation du procédé (à l’exception de Delacroix). Raoul-Rochette secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, se plaignait de la « perversion » d’une telle invention qui rompait avec l’enseignement académique des beaux-arts.

Mais la question du style et de la sensibilité artistique est vite appliquée à la photographie. Dès 1850, on peut découvrir des tentatives remarquables de composition et de mise en scène, la photographie gagnant ainsi ses lettres de noblesse face à la sacro-sainte peinture, à l’image de ce « Portrait métaphorique », une mise en abîme que l’on doit à Barthélémy Thalamas. En outre, la photographie devient un outil de recherche picturale. Louis-Auguste Bisson exécute pour son amie peintre Rosa Bonheur, une étude de chevaux vers 1844. Ingres lui-même demande à Désiré-François Millet au début des années 1850, de réaliser une série de daguerréotypes reproduisant ses œuvres.

Les pièces de l’exposition, bien que d’une facture différente, étonnent par leurs qualités proprement plastiques. Les griffes dans la plaque de métal pareilles à un réseau filaire en filigrane dû au polissage, l’aspect miroitant, les contours brumeux oxydés, donnent à « l’objet photographique » une poésie incomparable, un pouls presque perceptible, et la petitesse des plaques une préciosité émouvante. Ce sont des images vibrantes, impressionnantes de détails.

 

Négative attitude

En contrepoint de l’accrochage des petites plaques métalliques, répondent les calotypes mis au point par William Henry Fox Talbot. Le britannique, sur les talons de Daguerre, partageait avec lui la même préoccupation pour la sensibilisation à la lumière. Mais la disjonction s’est faite à jamais, l’un en optant pour la précision, l’autre pour la multiplicité de l’image et la légèreté du support.
Talbot se pose clairement comme le plus sérieux rival de Daguerre et en 1839, lui emboîte le pas en présentant devant la Royal Society de Londres son propre procédé photographique, sur papier. Mathématicien, physicien, numismate, archéologue et botaniste, ce touche-à-tout mène ses propres recherches sur la lumière dès 1834. En 1835, il obtenait ses premiers « dessins photogéniques ». Le principe était assez simple : il disposait sur une feuille de papier sensibilisée aux sels d’argent des objets ou des végétaux et obtenait des impressions en négatif.

Talbot essuie quelques casseroles. À l’inverse de Daguerre, il ne bénéficie d’aucun soutien officiel des autorités britanniques. Il fait alors une avancée décisive en mettant définitivement au point un nouveau procédé négatif-positif : à partir d’une image négative, obtenue en chambre noire puis révélée par développement, il lui est désormais possible de tirer plusieurs épreuves positives. Le calotype était né, (du grec kalos « beau »), littéralement la « belle image ». L’art bascule alors dans l’ère de la reproductibilité (tournant de l’histoire théorisée par Walter Benjamin et sa théorie de déperdition de l’aura).

L’exposition des calotypes commence par les premières images négatives naturalistes de Talbot. La plupart des photographes de l’époque (mais aussi des photographes modernes tels que Mario Giacomelli) ont été sensibles aux qualités intrinsèques du négatif. L’inversion des valeurs donnent à l’image négative un caractère poétique, voire mystique, à l’image de « La Meule de foin » (3) de Talbot.

En 1840, le procédé de Talbot est encore loin de pouvoir rivaliser avec les daguerréotypes. Les images apparaissent un peu floues, développent des formes plus massives que linéaires, fortement contrastées, sans demi-teintes à proprement parler. Le caractère précieux et unique des daguerréotypes n’est pas l’apanage des calotypes. Mais le papier utilisé donne une profondeur aux images que se refuse le daguerréotype. Véritables douceurs visuelles, les calotypes développés en plus grand format, dévoilent des ombres denses et veloutées. En cela, les calotypes se rapprochent davantage de l’estampe ou de la peinture. Parmi les utilisateurs du calotype exposés ici, on remarque Hill et Adamson, dont on décrivait  les images comme des équivalents photographiques des œuvres de Rembrandt, « mais en mieux ». Les grandes règles de la composition sont amorcées : les jeux de lumière, des diagonales, des matières, etc.

So british

Le calotype n’a pas envahi les foyers d’Angleterre comme le daguerréotype à Paris. Les seuls à utiliser le système sont pour la plupart des proches de Talbot, gentlemen amateurs d’art tels que John Muir Wood, dont les motifs romantiques sont les sujets privilégiés. Cette inclination romantique se traduit par les nombreux calotypes de cathédrales en ruines, des transepts en déréliction, et une multitude d’arbres esseulés, aux branches tortueuses, ou déracinés façon expressionnisme allemand, mais aussi des motifs rocheux, tels que les affleurements, véritables cathédrales naturelles.

Des calotypistes tels que Benjamin Brecknell Turner, se tournent, en période pré-révolution industrielle, vers des motifs d’architecture moderne comme cette vue du Crystal Palace, Hyde Parke, de 1852, exprimant avec une certaine mélancolie, le passage à la modernité.

Enfin, l’exposition ouvre les frontières de la Grande-Bretagne. Héritage du « Grand Tour » propre aux mœurs du XVIIIe siècle, les calotypistes s’expatrient en Europe ou en Inde (gouvernée à l’époque par la Compagnie des Indes orientales britanniques) comme nous le montrent les clichés du Taj-Mahal de John Murray en 1854. Plus facile à transporter que le daguerréotype, le négatif papier a la préférence de tous les globes-trotteurs dans les années 1850.

Le daguerréotype fut assez vite abandonné, à peine deux décennies d’exploitation, au profit du calotype qui à son tour fut remplacé par le négatif verre au collodion. Alliant la netteté de l’un à la multiplicité de l’autre, il éclipse ses deux rivaux, parricide nécessaire, mais Daguerre et Talbot ont inscrit à jamais leur nom dans l’histoire de la photographie. Les pages de celle du cinéma vont bientôt s’écrire, encore quelques quarante années à attendre…

(1) Charles Baudelaire en parlant des apprentis daguerréotypistes in Le public moderne et la photographie. Salon de 1859, cité par Quentin Bajac in L’image révélée, l’invention de la photographie, Découvertes Gallimard, Paris, 2001, p. 148.
(2) Id.
(3) Avril 1844, calotype négatif utilisé pour le « Pencil of Nature » (« Crayon de la nature ») paru en 1844, premier livre illustré de photographies crée par Talbot lui-même.


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