Estômago

Article écrit par

Amor, friture et prison. Les bons ingrédients peut-être, mais certainement pas la bonne recette.

S’il y avait un world cinema comme on parle de world music, Estômago en ferait sûrement partie. La world music est bien souvent une étiquette décriée par les artistes, plus pratique pour le classement des disquaires qu’elle ne recouvre une réalité tangible. Position ethnocentriste occidentale, il n’empêche que le genre donne aussi naissance à de vrais pastiches de musique du monde. Dans ses productions les plus médiocres, elle forme un gloubiboulga d’influences et surtout de clichés divers et touristiques. C’est à cette tambouille qu’Estômago s’apparente.
 
Plaisant petit film salué dans les festivals (quatre prix au Festival du film de Rio, Prix du jury au Festival Biarritz Amérique Latine), Estômago présente il est vrai un abord plutôt sympathique. Le film est conçu en deux parties : la découverte de la cuisine et de l’amour par Nonato, puis celle de la prison, le  tout traversé par l’idée d’ascension sociale. Plutôt qu’une juxtaposition stricte, le réalisateur Marcos Jorge mêle les deux temporalités en alternance. Effet dynamique qui permet de retenir jusqu’au dénouement la raison de l’incarcération du personnage, manière de nous faire saliver et d’assurer notre connivence. Classique, mais pourquoi pas.

Plus gênante est la facilité structurelle à laquelle le réalisateur a recours le long du film : la répétition. Novice de la cuisine, chaque séquence de la vie civile marque l’acquisition d’un savoir pour Nonato, nouvelle connaissance qui est ensuite appliquée à la vie en prison. Gentiment efficace sur une demi heure, au-delà le procédé se révèle lourd et dénote au choix paresse, commodité d’écriture ou incapacité à développer et mettre en scène un récit.
 

Se greffe autour de cette structure pataude une série de clichés sur le milieu professionnel. Qui dit Amérique du sud dit bien sûr musique rythmée, et qui dit cuisine dit rapports sensuels. Les séquences de cuisine « mains dans la pâte » (Nonato travaille dans un charmant bouge adepte de la friture) se retrouvent affublées d’une ambiance « sensual y caliente » aussi évocatrice qu’une pub spongex.
 
Pourtant les bonnes idées ne manquent pas. A commencer par l’établissement du lien pouvoir et cuisine illustrant la maxime « le plus court chemin pour atteindre le cœur d’un homme passe par son estomac ». Homme devant être compris au sens humain, le statut de cuisinier permettant à Nonato de gravir les échelons professionnels, de ravir le cœur d’une femme et de survivre en prison. Mais voilà Estômago patauge dans le prévisible que le final touchant au grotesque ne dissipe pas. Un trop plein de bonnes intentions et une volonté didactique font de ce qui aurait pu être une sympathique chronique sociale un plat informe et fade. Sans parler des ambitions métaphoriques du réalisateur : « J’ai voulu qu’Estômago commence sur la bouche du personnage et s’achève sur son derrière. Comme dans le système digestif, ici, tout se délite en excrément. Ainsi, le chemin de Nonato dans la société retrace le trajet de la nourriture à l’intérieur du film.» Volontairement ou pas, le film adopte le même trajet.

Titre original : Estomago

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 100 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…