Entrevue avec Vincent René-Lortie, réalisateur d’Invincible.

Article écrit par

Premier court-métrage de fiction de Vincent René-Lortie, Invincible a reçu de nombreux prix au niveau international et a été présélectionné pour les Oscars. Nous avons la chance de pouvoir interviewer son jeune réalisateur québecois dont le talent ne fait aucun doute.

De par ses enjeux, sa richesse, le sujet d’Invincible aurait pu donner naissance à un long-métrage. Le format court vous a probablement conduit à rechercher le maximum de concision durant votre travail d’écriture. Comment avez-vous abordé cette étape du film ? Quels choix avez-vous dû faire au niveau du récit ?

Il était important pour moi de raconter les quarante-huit heures avant le décès de Marc-Antoine. J’étais confiant sur le fait de pouvoir évoquer cela dans un format court. D’autant plus que le film dure quand même trente minutes – un long court-métrage, finalement. À la base, mon premier montage durait environ quarante minutes, j’ai dû retravailler ma copie. Est-ce que cette histoire aurait pu devenir un long-métrage par la suite ? Peut-être, mais aujourd’hui j’ai envie de raconter quelque chose de nouveau. Je suis fier d’avoir raconté cette histoire, mais je sens qu’il est temps de passer à autre chose.

Le court-métrage est un excellent exercice au niveau de la mise en scène, également. On doit rechercher à être le plus expressif en moins de temps ? Avez-vous fait un storyboard précis avant le tournage ?

Oui, on a vraiment découpé le film d’une façon très précise avant le tournage, même si une part d’improvisation pouvait toujours s’inviter. Je suis le type de réalisateur qui, lorsqu’il arrive sur le tournage, aime savoir la durée précise des scènes. Un storyboard très détaillé est important. Au départ, j’avais prévu un film de vingt-cinq minutes, puis dès le début du tournage, j’ai compris que Léokim Beaumier-Lépine, qui interprète Marc-Antoine, était très puissant, il occupait beaucoup de place de par son magnétisme. J’ai alors décidé de faire un film un peu plus long pour mettre en avant sa force, sa performance. Certains plans sont plus longs que prévu pour donner toute sa place à mon personnage principal.

On ne sait pratiquement rien sur les raisons précises qui ont conduit Marc-Antoine à être intégré dans un centre jeunesse (maison de redressement en France). Ainsi, le spectateur ne peut ni blâmer ni excuser le jeune homme. On évite de porter de jugement.  Pour quelles raisons ?

En fait, c’est exactement pour ce que vous venez de dire. Pour moi, les raisons n’ont jamais été importantes, une série d’évènements qui ont conduit Marc-Antoine dans cette structure. Marc ne trouvait pas sa place dans la société, un jeune délinquant, selon les termes de la loi. De mon côté, je ne souhaitais pas forcer le point de vue du spectateur. Présenter Marc comme quelqu’un qui méritait ou non d’être là. En commençant mon récit dans les deux jours qui précèdent le drame, le but était d’apprendre à  le connaître, en vivant avec lui ces moments. Le fait que Marc meure dès l’incipit conduit le spectateur à vouloir connaître ce jeune garçon. Le flashback va nous permettre de découvrir toute sa sensibilité, toute son intelligence, et cela malgré ses sauts d’émotion.

Même si la caméra suit plus particulièrement Marc-Antoine, il y a une volonté de ne pas réduire l’entourage du jeune homme à de simples stéréotypes, je pense notamment au superviseur. Cet entourage n’est pas jugé également.

Je suis content que vous me disiez cela. J’ai fait un important travail de réécriture du scénario au cours du projet, au départ il y avait un personnage secondaire, une sorte d’ennemi de Marc au sein du centre jeunesse. Il faisait office de métaphore de l’institution, cependant plus j’avançais dans mon travail, plus je me rendais compte que cela sonnait faux. Pour faire le film, j’ai réalisé beaucoup de recherches, j’ai compris que personne n’était responsable de la mort de Marc-Antoine. Y compris l’institution, qui a fait ce qu’elle pouvait pour l’aider. Certes elle a ses défauts, elle n’est pas parfaite. Mais personne n’avait les outils pour lui permettre de s’en sortir. L’ennemi de Marc c’était lui-même.

Au niveau de la psychologie, là aussi, on cherche peu à mettre des mots sur les maux de Marc-Antoine, votre approche est très sensitive. Vous cherchez à capter les émotions dans leur plus simple expression, un regard un geste. Qualifieriez-vous votre démarche de naturaliste ?

Oui, cela décrit un genre de cinéma dans lequel j’évolue à l’heure actuelle. Je ne suis pas un grand fan de dialogues – même si en tant que spectateur j’apprécie ces films. Avant d’écrire du dialogue, je me demande toujours si je pourrais exprimer les mêmes idées, les mêmes émotions, par de l’image. À travers un regard, celui de Marc par exemple. La direction photo a aussi joué un rôle important. Des cadrages très serrés. On est toujours avec lui. On le laisse très peu respirer. En ce qui concerne le naturalisme que vous évoquez, ce n’est pas le cas, car j’ai tellement tout préparé en amont. Notamment avec Léokim, avec lequel j’ai travaillé des mois avant le tournage.

Le choix du format 4/3 s’est imposé à vous à partir du moment où vous cherchiez à retranscrire l’enfermement de Marc (au niveau psychologique notamment) ?

Oui, le format 4/3 s’est imposé dès le début de mon scénario. J’ai  souhaité avoir ce sentiment de prison, de cage. Être près des visages, des émotions. Par contre l’image est toujours très stable. Il y a très peu de moments filmés caméra à l’épaule. Cela renforce le fait que le personnage est vraiment cloisonné, il a beau bouger, le cadre, lui, reste fixe. La caméra épaule a été très bien utilisée par une réalisatrice comme Andrea Arnold. Trop utilisée, je trouve dans le cinéma en général, moi je préfère regarder le personnage que vivre l’histoire à travers son regard.

Pour la photographie vous avez opté pour des couleurs chaudes, une belle luminosité. Ne pas assombrir le tableau ? Quelles sont les raisons de ce choix ?

Il y a plusieurs raisons. La première est que le film se déroule, l’été. Une période où il fait très chaud à Montréal. Une forte chaleur et de l’humidité. La chaleur non pas pour évoquer la beauté, mais l’étouffement. Deuxième raison, lorsque Marc est à l’extérieur, les couleurs sont chaudes, le soleil se couche à l’horizon, à l’intérieur de la maison familiale, les couleurs sont douces également. Mais, à l’intérieur du centre jeunesse, l’atmosphère devient plus froide. Cette différence entre les lieux relève également du travail sur le son. Ceux à l’extérieur, comme le vent, ont été amplifiés par exemple. Dans le centre jeunesse, les silences se veulent assourdissants.

 

 

La souffrance vécue par un adolescent, le format 4/3. La comparaison avec Xavier Dolan a dû vous êtes déjà évoqué ?

C’est drôle, c’est beaucoup à l’international qu’on me fait cette remarque. Au Québec, non. Je comprends, il y a eu Mommy qui est un très beau film, et a connu un grand succès. Par ailleurs, des coming of age, il y en a eu beaucoup au cinéma. Moi, ce qui m’intéressait c’était de raconter l’histoire d’une personne que j’ai connue. De la raconter selon ma perspective, ma vision.

Votre film a été très bien accueilli, récompensé au Festival International de Clermont-Ferrand. Pouvez-vous nous parler de son parcours ?

Il a un magnifique parcours. Je ne prévoyais pas tout ça, car c’est un film assez long, et certains festivals pourraient le refuser car il prendrait trop de place. La sélection à Clermont-Ferrand a ouvert beaucoup de portes par la suite. J’ai projeté mon film à Bruxelles, à Busan, en Espagne… Clermont a toujours été un rêve pour moi. En effet, je m’y étais rendu il y a cinq ans pour mon film de fin d’études, dans le cadre d’une sélection non officielle. J’ai découvert la beauté de ce festival, cette salle qui reçoit 1500 personnes.  Un soir que je me promenais dans la ville m’est venu le désir de faire un film sur mon ami d’enfance. Invincible est né à Clermont, et le fait de venir le présenter par la suite est un aboutissement. Mon film a très bien marché au Québec également. On a remporté l’Iris du meilleur court-métrage québécois. Il vient d’être présélectionné pour les Oscars. On attend de voir si on saura dans la short-list finale. En ce moment je commence un nouveau projet, un long-métrage.

Entretien téléphonique réalisé le mardi 19 Décembre 2023. Merci à Vincent René-Lortie pour sa disponibilité  ainsi que Phoebe Cave (attachée de presse)

 

 

 

 

Année :

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi