Entretien avec Kôji Wakamatsu

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Kôji Wakamatsu, 73 ans, revient sur les circonstances qui l´ont amené à réalisé son nouveau long-métrage, « United Red Army », inspiré de << l´incident d´Asama Sansô >> (prise d´otage au Japon en 1972). Quand la politique et le cinéma s´entrecroisent en une même révolte…

« L’incident d’Asama Sansô »

Les événements que vous décrivez dans le film sont-ils toujours connus au Japon ? Avez-vous cherché à rappeler à la mémoire des japonais ce qui s’est passé à cette époque au Mont Asama ?

Aujourd’hui, au Japon, il n’y a que les personnes de plus de cinquante ans qui connaissent vraiment ce qui s’est passé au chalet d’Asama. Les autres générations ne connaissent pas du tout ces événements. Ils ont peut-être vu des images d’archives, notamment celles de la destruction du chalet. Mais, à part ça, ils ne savent pas ce qui s’est passé réellement.

Existe-t-il des films sur le même sujet ?

Il y en a trois.

Quelles sont leurs caractéristiques ?

Le premier film raconte que la femme leader de l’Armée Rouge Unifiée couchait avec tous les hommes du groupe. Ce qui est totalement faux. Le deuxième film, Pluie de Lumière [Takahashi Banmei – 2001], parle plutôt d’un metteur en scène de théâtre qui monte une pièce sur les événements du chalet d’Asama et, par conséquent, ne montre pas non plus la réalité des choses. Le troisième film, The Choice of Hercules [Masato Harada – 2002], montre l’affaire uniquement du point de vue de la police.

 

   
The Choice of Hercules [Totsunyu seyo! Asama sanso jiken – Masato Harada – 2002]

Il y a un aspect que votre film n’aborde pas. Etant donné que les événements dépeints dans le film ont été largement médiatisés à l’époque, quelle a été la réaction de l’opinion publique au moment des faits ?

Pendant la médiatisation, je pense qu’il a dû y avoir deux catégories de personnes : d’un côté, les intellectuels de gauche qui applaudissaient et soutenaient ces jeunes avec plaisir ; d’un autre côté, la majorité des japonais qui ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait et qui regardaient comme s’ils assistaient à une pièce de théâtre.
En fait, tout le monde a regardé le déroulement de cette affaire comme si c’était la première fois qu’on assistait à un spectacle aussi intéressant.

Mener la lutte

Vous avez réalisé en 1971 un film intitulé Armée Rouge – FPLP – Déclaration de guerre mondiale. Au vu de son titre, ce film traite-t-il du même sujet ?

Ce documentaire montre les actions commises par les commandos palestiniens et explique leurs relations avec les membres de l’Armée Rouge du Japon. Il s’agissait de se demander pour quelles raisons ceux-ci en sont arrivés à combattre. J’ai rencontré quatre ou cinq responsables palestiniens que l’on voit parler dans le film. J’ai aussi cherché à montrer la vie quotidienne des enfants. J’expliquais qu’il y avait des fusils dans chaque maison et que la vie de ces enfants était synonyme de combat.
En fait, je pense que ce documentaire est presque un film de propagande, dans la mesure où les films de propagande, en général, sont fortement liés à la lutte armée. Beaucoup de gens, là-bas, ont décidé de participer à la lutte armée après avoir vu mon film.

Entre cette époque et aujourd’hui, votre point de vue a-t-il évolué ?

A l’époque, je croyais encore à la lutte armée alors qu’aujourd’hui, je n’y crois plus, du moins, en ce qui concerne le Japon. Cela, dans la mesure où l’Armée de Sécurité japonaise a fait beaucoup de progrès. Les soldats sont plus nombreux et l’Etat dépense de plus en plus d’argent pour eux. Je pense qu’il n’est plus possible de mener une lutte armée aujourd’hui.

Votre film, justement, ne prend pas position contre la révolution. Le rappel historique de la première partie vient légitimer les différentes révoltes qu’a connues le Japon au cours des années 60. Etait-ce là votre intention : défendre la révolution, mais condamner les dérives qui ont été commises en son nom ?

Exactement.
C’est pour ça que je disais, à l’époque, à tous ces jeunes révolutionnaires que le plus efficace, pour eux, serait d’entrer dans l’armée japonaise et d’attendre vingt ans, s’il le faut, sans rien faire, avant d’arriver à un poste important et de pouvoir changer le pays. C’est peut-être la seule façon de faire la révolution… Mais, aujourd’hui, de toute façon, ça ne sert à rien de prendre les armes pour mener la lutte.

 

United Red Army [Jitsuroku rengô sekigun: Asama sansô e no michi]

Dans votre film, vous évoquez les événements de Mai-68. On prétend souvent, en France, que Mai-68 a été un échec au sens où les actions étudiantes ne sont pas parvenues à trouver de terrain d’entente avec les actions ouvrières. Est-ce que ce serait là l’une des explications de ce qui s’est passé au Japon, à la même époque ? Les étudiants auraient-ils dû établir plus de ponts avec la classe ouvrière et coordonner leurs actions avec elle ?

Les seuls cas où les étudiants et les ouvriers ont mené la lutte ensemble, c’était pour demander aux Américains de rendre au Japon l’île d’Okinawa et pour protester contre l’arrivée de cuirassés américains dans le port de Nagasaki. A partir du moment où on a commencé à mener un mouvement contre la guerre du Vietnam ou contre la construction de l’aéroport de Narita à Tokyo, seuls les étudiants ou les paysans étaient présents. Les ouvriers ont préféré arrêter le mouvement assez vite parce qu’ils avaient des enfants et devaient assurer leur subsistance. Ainsi, malheureusement, les syndicalistes japonais ont préféré continuer le combat uniquement sur la question du salaire.

La reconstitution des faits

Pour en revenir au film lui-même, comment avez-vous mené vos recherches sur les événements du chalet d’Asama ? Quelles personnes avez-vous contactées ?

J’ai fait toutes les recherches possibles. J’ai lu tous les livres qui ont été écrits par les personnes ayant participé aux événements. J’ai aussi rencontré ceux qui, actuellement, sont encore en prison.
Au cours de mes recherches, j’ai fait très attention aux propos tenus par toutes ces personnes. Chacun avait pris l’habitude de justifier ses actes et, avec le temps, beaucoup d’entre eux avaient tendance à déformer ce qui s’est réellement passé. J’ai donc dû trouver un équilibre entre la vérité et ce qu’ils croyaient être la vérité. A chaque fois que j’écoutais quelqu’un, j’ai d’abord commencé par douter.

Les personnes que vous avez rencontrées étaient-elles prêtes à coopérer avec vous ?

En fait, depuis que je fais des films, je suis assez populaire auprès de ces gens-là. Ils étaient très contents, quelque part, de me parler. Je leur ai dit que j’utiliserai leur vrai nom et ils m’ont répondu qu’il ne fallait pas hésiter. Ils ont été tous très coopératifs puisqu’ils sont assez admirateurs de mes films.

 

   
L’Extase des Anges [Tenshi no kôkotsu – Kôji Wakamatsu – 1972]

D’un autre côté, comment avez-vous dirigé les acteurs du film ? Sur quelles bases avez-vous décidé de reconstituer les événements ?

Les acteurs qui ont joué dans le film n’étaient pas nés au moment des événements et, par conséquent, ne les connaissaient pas directement. Tous ceux qui sont venus pour passer les auditions, toutefois, s’intéressaient beaucoup à l’idée de jouer dans ce film et me montraient qu’ils avaient beaucoup étudié. Je n’avais donc pas besoin de leur expliquer le déroulement de l’affaire.
En même temps, je me suis souvent énervé pendant le tournage contre tous les acteurs. Mais, en tout cas, c’est grâce à l’effort de chaque comédien que j’ai réussi ce film.
Le DVD du film va bientôt sortir, en France, et dans les bonus figurera le making-of. Celui-ci montre bien comment cela s’est déroulé.

Censure et violence

J’aimerais maintenant aborder la question de la violence dans le film. Mais d’abord, je tiens à revenir sur la sortie récente, en France, du film Quand l’embryon part braconner [1966] qui, à la suite d’une longue polémique, a finalement été interdit aux moins de 18 ans. Quelle est votre réaction à ce sujet ?

C’est à cause du président que vous avez choisi… Je n’ai pas d’autres commentaires à faire.

Dans United Red Army, vous êtes-vous fixé une limite à la représentation de la violence, afin d’échapper à ce problème ?

Non, pas du tout. Je n’ai jamais fait attention à ce genre de choses. J’évite même de penser à cela.

La violence dans votre film est très forte, mais se justifie par le fait que ce sont les événements historiques que vous décrivez, à la base, qui ont été particulièrement violents. Que pensez-vous de cette tendance actuelle dans le cinéma américain, notamment, à représenter la violence de façon gratuite ?

C’est vrai que dans beaucoup de films américains, on voit des explosions complètement absurdes ou des tas d’immeubles s’écrouler… Pourtant, c’est précisément ce pays qui a décidé de mener la guerre contre le terrorisme et a interdit toute sorte d’actes violents. Mais, les spectateurs osent applaudir ce genre de films et je me demande pourquoi personne ne remarque cette contradiction. Je suis assez étonné de voir à quel point ces longs-métrages sont idiots. En réalité, je ne regarde jamais de films d’action américains.

Nagisa Oshima a écrit à la sortie de son film L’Obsédé en Plein Jour [1966] : « A l’origine, l’acte de faire des films est un acte criminel dans ce monde. » Le cinéma, selon vous, doit-il être « criminel » s’il veut aller de l’avant ?

Oui. Je suis d’accord. Il y a des contradictions dans le cinéma. « Je » tue, par exemple, beaucoup de monde dans mes films, particulièrement des policiers. Cet acte, évidemment, est criminel, mais, au nom du cinéma, on peut tout à fait accomplir ce genre de choses, et c’est parfois nécessaire. En même temps, il y a des spectateurs qui prennent plaisir à regarder cela. Et ça aussi, c’est déjà criminel…

 

 
L’Obsédé en Plein Jour [Hakuchu no Torima – Nagisa Oshima – 1966]

Autocritique

Dans la mesure où vous avez commencé à faire des films dans les années 60, comment expliquez-vous, sur le plan idéologique, la fin du mouvement de la Nouvelle Vague japonaise qui prônait la lutte contre le cinéma classique et traditionnel ?

En ce qui me concerne, si j’ai pu faire quasiment un film par mois au cours des années 60, c’est avant tout grâce aux étudiants qui me soutenaient – des étudiants de gauche, évidemment. J’étais lié à eux et j’ai aussi réussi grâce à eux.

Enfin, si vous deviez faire votre autocritique, que diriez-vous de votre carrière ?

Je regrette beaucoup d’avoir fait des films pour des grands studios de production et notamment, ces deux longs-métrages que j’ai réalisés à Paris et en Australie.
Surtout, je regrette profondément d’avoir fait le film que j’ai tourné à Paris [Erotic Liaisons – 1992] puisque je l’ai fait uniquement pour gagner de l’argent. J’ai vraiment honte que ce film figure dans ma filmographie. Ce travail devait m’apporter plus de 10 millions de yens [environ 61000 euros, à l’époque], c’est pourquoi j’étais très tenté et j’ai fini par accepter. C’est certainement au sujet de ce film que je peux me livrer à mon autocritique.

 

Entretien réalisé à Paris, le 10 avril 2009.

 


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