Le passage du moyen au long métrage apparaît moins, lorsque l’on regarde les quatre films successivement, comme l’accomplissement logique d’un geste de cinéma qu’une extension presque naturelle des bal(l)ades à la dimension plus plane, plus languide d’un scénario de grande vacance. Les retrouvailles de Vincent, Christelle, Muriel et les autres sont avant tout le point de départ d’une réactivation de la mémoire commune, bien moins attendue finalement qu’un quelconque projet de réconciliation. Si Memory Lane semble un film si serein, tellement apaisé que l’on pourrait légitimement le soupçonner de ne parler de rien, c’est précisément parce qu’en effet, entre ces gens-là, ces garçons et ces filles de même pas trente ans, l’affaire est entendue depuis toujours. Ce mois d’août servant de cadre à cette réunion tardive est surtout celui d’une acceptation par chacun de leurs trajectoires certes désormais distinctes, mais toujours disposées à se recroiser à la faveur des saisons. D’où que l’émotion qui s’infiltre dans ce film, comme dans tous les autres, soit avant tout celle d’une conscience du caractère provisoire de chaque instant partagé, la prémonition sans larme d’une séparation peut-être définitive.
Chaque film est alors travaillé par le caractère forcément vaporeux de cette acceptation. Charell exemplairement, premier moyen inspiré – comme d’ailleurs Memory Lane ? – d’un roman de Patrick Modiano (De si braves garçons, 1982), qui met en présence après des années de perte de vue deux amis d’enfance partagés entre bienveillance mutuelle et défiance insidieuse, les affaires du passé ne pouvant longtemps rester sous silence. Là où « Aude », deuxième fragment des trois constituant Montparnasse, fait du dialogue entre un père (déjà incarné par Didier Sandre, que l’on retrouvera, toujours aussi maître de sa douleur, dans Memory Lane) et le compagnon de sa fille que l’on devine disparue, puis de leur accueil de la sœur cadette de la supposée défunte, le terrain d’un jeu subtil d’esquives et d’insinuations marquant la présence persistante de celle qui n’est plus là. Comme si, à l’instar ici encore de Modiano, rien ne justifiait autant la vie que la manière dont on parvient à immortaliser le passé, ne serait-ce que par le biais de l’évocation d’une personne aimée, mais tout autant de l’anticipation du devenir passé de l’instant présent.
Si le cinéma de Mikhaël Hers est encore porteur de promesses, c’est sans doute de celles d’une constante réinterrogation de ses propres fondations, par l’intermédiaire notamment des retrouvailles avec un même groupe d’acteur, l’élection d’une même géographie, cette aspiration toujours évidente à proposer une mise en scène mélodique et spleenétique, entre aube et crépuscule.
Bonus
Les trois premiers moyens métrages susmentionnés.
Une analyse de l’œuvre de Mikhaël Hers par Luc Moullet, admirateur de premier choix, voyant avant tout en lui un grand cinéaste « du terroir ».