La radicalité du sujet, sa presque austérité ne doivent pas empêcher de relever le souci tout particulier d’Aurélia Georges d’ouvrir ses plans, ne pas tracer le destin de son personnage comme une descente aux enfers, une fatalité. Le film est littéralement traversé par les corps et véhicules qu’il enregistre et à la fois met en scène, toujours très ancré au sol, dans le réel, mais jamais loin de l’envol, de l’effacement. La politique de L’Homme qui marche se situe avant tout dans cette coexistence toujours manifeste des trajectoires multiples, l’ouverture de chaque scène, de chaque image au croisement des lignes de vie, une commune singularité des destins jamais aussi bien reflétée que dans les ultimes plans, exposant au loin le corps inerte de l’écrivain, alors que la vie continue, qu’un passant ou deux s’arrêtent avant de poursuivre leur route… Cette indifférence du monde, du peuple, de l’Homme à son prochain pourrait apparaître de prime abord comme une leçon, une condamnation de notre égoïsme, nos lâchetés quotidiennes… mais pas du tout.
Il est moins question ici, comme le tenta par exemple avec force lourdeur Michael Haneke avec Code Inconnu (2000) de bâtir un grand film sur tous les maux contemporains qu’une œuvre faisant simplement avec le temps. L’Homme qui marche aboutit à pareille fin précisément parce qu’au départ, en 1974, à l’instant où Viktor fut repéré par un photographe et son épouse à la terrasse d’un café, rien n’était encore décidé, tout faisant a priori de lui rien moins qu’un homme de son temps. C’est de n’avoir pas voulu créer de lien durable, presque instinctivement refusé l’amour, l’amitié qu’au final il se retrouve à mourir seul, parmi tous les autres. C’est en tout cas l’une des nombreuses possibilités de lecture proposées par un film d’autant plus d’aujourd’hui, d’autant plus travaillé par la question du contemporain que s’y pose à chaque instant – mais de manière très diffuse, plus que subtile – la question de l’Histoire, de ce qui marque une époque mais surtout survit à l’insensible passage des années (sont notamment vécus par les personnages un séminaire de Jacques Lacan au milieu des années 70, mais aussi l’ivresse de l’annonce de la victoire de Mitterrand, en mai 1981). L’Homme qui marche porte donc bien son nom : c’est d’un film de passage(s) qu’il est ici question.
Bonus
Il y aurait, beau court métrage réalisé en 2000 par Aurélia Georges dans le cadre de ses études à la Fémis, laissant déjà entrevoir, par le biais de la superposition d’extraits des Choses de Georges Perec lus off par la cinéaste et d’images diurnes et nocturnes de quartiers parisiens, une attention toute particulière portée aux métiers, à la foule, au voisinage de bâtiments anciens et récents. Un cinéma décidément très urbain.
Deux entretiens. L’un avec la cinéaste, mené par Bernard Benoliel à la Cinémathèque française, l’autre avec César Sarachu, filmé par Aurélia Georges sur un plateau de tournage.
Bande-annonce ; Photos de tournage ; filmographie d’Aurélia Georges
DVD édité chez Epicentre Films. Sorti le 3 mai
