Dimanche 18 sept, 20h40, Ciné + Classic : la << Nuit Marc´O >> à ne pas rater.

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Pierre Clementi, Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier immortalisés dans un prototype radical et anxiogène de reality show : << Je suis une idole et tu n'es qu'une enfant. Je suis une idole adulée par mes fans. >> *

Rarement diffusé au cinéma et à la télé, injustement absent des rayons DVD, Ciné + Classic prend l’initiative de diffuser le mythique Les Idoles (1967) dans le cadre d’une « Nuit Marc’O », consacrée à l’auteur de Closed Vision (1954) déjà chroniqué il y a quelques mois dans nos pages. Nous avions laissé Marc’O mi-lettriste mi-surréaliste… Après Closed Vision, l’eau a coulé sous les ponts, et dans les années 1960, le cinéaste/metteur en scène a vite rejoint feu l’American Center du boulevard Raspail dont il crée et dirige le département théâtre pendant sept ans, participant ainsi pleinement à la vie d’un haut lieu de l’expérimentation artistique, où le performeur théoricien Jean-Jacques Lebel organisa notamment son tout premier Festival de la Libre Expression en 1964 avec, en guest, le Ben Vautier des agendas Quo Vadis et son ami Serge III, qui y joua, en live, à la roulette russe (1).

Autant dire qu’à cette époque, on n’avait pas froid aux yeux. Neds, de Peter Mullan, présentait tout récemment – avec force et dégoût – les rebus produits par une société dont l’éducation des prolos n’est de toute évidence pas la priorité. Ces prolétaires, ou couches populaires, sont communément envisagés en tant que « masses » par les media, eux-mêmes chargés de les gaver jusqu’à plus soif de nouveaux déchets produits par une industrie soi-disant culturelle, très prompte à anticiper les désirs d’un bon peuple prévisible. Déplacement du fief de l’abrutissement collectif, mais même mécanisme : du pain et des jeux, toujours ; du broyage de boucs émissaires, piégés par les miroitements fantasmés de leurs ego avides de reconnaissance, et acculés dans l’arène par le système jusqu’à leur exécution symbolique par le peuple, encore. Grandeur… et décadence.

« Je suis complètement éblouie par les projecteurs, et je ne vois pas le public… »

Lors de sa diffusion sur Arte au sein de la programmation « Summer of the 60’s » (août 2010), le potache Philippe Manœuvre a qualifié avec quelques facilités Les Idoles de « comédie déjantée » – ouh là là ! – « réalisée avec toute la dinguerie de l’époque ». De quoi se taper le cul par terre, si on en croit notre rockeur le plus télégénique ? Pas franchement, non. Dans ce même registre, un peu fashion, on pourrait dire du film qu’il est carrément culte (on ne peut plus ironique au regard de son titre), ou complètement « ouf » : ce serait occulter la gravité de sa bouffonnerie. L’enjeu politique des Idoles dépasse largement la classe revêche du blouson de cuir de Clementi, alias Charly le Surineur, le charme envoûtant des tenues psyché de Kalfon, a.k.a. Simon le Magicien, ou l’excentricité couture des costumes de Bulle Ogier en Gigi la Folle. Tous trois étaient alors membres de la troupe de Marc’O à l’American Center…
 

1954 : Marc’O désirait un soulèvement de la jeunesse. 1967 : il constate que le sang neuf est devenu un argument de vente. C’est l’heure du renouvellement de la jeunesse, prôné à perpétuité, et à des fins commerciales, par la société du spectacle avide de sang frais et d’icônes jetables : « L’idole est l’incarnation en un individu de l’aspiration à la réussite des autres qui n’y parviendront jamais. C’est le culte, le triomphe de la facilité. La preuve vivante que n’importe qui peut être quelqu’un, mais comme disait mon maître, le professeur Rouffion, si n’importe qui peut être quelqu’un, aussitôt qu’il est quelqu’un, il n’est plus n’importe qui ! […] L’idole fera toujours ce que le public attend d’elle. » Dieu sait pourtant que le public, dans ce film, on en parle beaucoup, mais on ne le voit quasiment jamais. Nos trois stars sont emmurées dans un huis clos artificiel monté de toutes pièces par les impresarios et les journalistes, leurs vies modelées par les attentes théoriques des foules fantômes.

« Charly, je ne t’aime pas ! – Moi non plus ! – … Et je te hais ! – Allez, défringue-toi ! – Jamais !! »

A la sortie du film – éclipsé en plein mai 1968, de sorte qu’il devra ressortir en 1973 –, les critiques ont cru reconnaître au cœur de la satire politique, le couple guimauve Vartan/Hallyday dans le mariage auto-promotionnel de Gigi et Charly. Marc’O s’en défend : pas de parodie dans Les Idoles. Alors qu’on parle d’attentes de la société, du public et surtout des producteurs, Marc’O dénonce aussi celles des metteurs en scène. Son théâtre et son cinéma sont bâtis contre le diktat du personnage mitaine dans la peau duquel l’acteur doit se glisser, se pliant ainsi aux codes conventionnels de chaque genre. Jonglant avec les limites de l’improvisation ou du happening, les acteurs s’y jouent d’eux-mêmes, décuplant leur puissance scénique sur la seule base de leur singularité. Physiquement stupéfiante, la gestuelle élastique déployée par un Clementi possédé pousse à fond le bouchon de la swinging racaille, à la fois tire-larmes et écoeurante : « Les copains, ne l’oubliez pas, qu’à Charly on la lui fait pas. De la rue il est venu, il n’y retournera plus. Yeah ! ».
 
 

La frontière entre le jeu d’acteur, la danse et la transe est plus fine à mesure que le film égraine les morceaux musicaux faussement pop, vraiment subversifs, et parfois litaniques : « Dis moi Charly, toi et moi, dans le même lit, couchés, amoureux… mais c’est un jeu auquel je ne veux, je ne veux, je ne veux, je ne veux pas me livrer… – Ah, ce que tu veux, ce que tu veux… – Ce que je veux, je le veux. Mais toi si tu le veux, tu ne peux, tu ne pourrais m’avoir ! » La structure totalement close, repliée sur elle-même, matérialise la stérilité d’un cirque médiatique confinant à la destruction de ses objets essorés jusqu’à l’os, dont l’humanité a disparu sous les spotlights et le maquillage. Les héros de ce freak show, agrippés aux promesses de succès, s’offrent délibérément en pâture, consciemment dépendants du système qui provoquera leur perte, huilant les rouages d’une machine qui n’a même plus besoin de payer pour trouver les futures victimes à sacrifier sur l’autel de la gloire. Pardon ! De l’amour. Amour des téléspectateurs ! Amour des grandes gentilles vedettes ! Amour de la fraternité ! Amour de la liberté. Amour de l’égalité ?

« Et maintenant les copains, j’aimerais beaucoup vous parler de mon enfance, de ma famille, de mon pépé, de ma mémé, de ma maman, et de mon pa-paaaa »

Une belle promesse de masturbation collective. Plus nauséabond sera le réveil…

« Il y a une idéologie qui est une idéologie de marché et que cette idéologie du marché, on ne parle que de ça. On parle de mots comme bien-être, mais moi chaque fois qu’on me parle de bien-être je ne sais pas de quoi on parle. […] Soyez des gagnants ! Mais c’est sûr que celui qui est un gagnant il va créer des tas de perdants autours de lui ! C’est peut-être ça qu’il faut mettre en cause ! » – Marc’O (2).

La « Nuit Marc’O » : un programme de santé publique, dimanche 18 septembre sur Ciné + Classic.
20h40 : Les Idoles
22h25 : L’Archipel du cas’O, un documentaire inédit et pertinent de Sébastien Juy, fidèle au réalisateur qu’il suit avec attention (2011, 60’)
23h25 : Closed Vision

* « … Malgré tout j’ai gardé mon âme d’enfant. Ces gestes pervers, je te les défends. Heeeein, arrête arrêt’. Heeeein, ne me touche pas… », Boby Lapointe, L’Idole et L’Enfant.
(1) Fluxus dixit, une anthologie vol.I, textes réunis et présentés par Nicolas Feuillie ; Dijon : Les Presses du réel, 2002, p. 46.
(2) Lors d’un passage dans l’émission Ce soir (ou jamais !), le 19 novembre 2008 sur France 3.


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