David Williams, l’homme aux portraits

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Sortie chez ED Distribution d’un beau coffret DVD consacré à une oeuvre riche et méconnue : celle du cinéaste et peintre américain David Williams.

Sortis seulement en France durant l’été 2002, les deux uniques longs métrages de David Williams, cinéaste indépendant américain, peintre de formation, sont tout simplement des merveilles. De ces films dont une seule vision, voire même une deuxième, ne saurait suffire à mesurer la profonde complexité d’élaboration masquée par le potentiel d’évidence des images, du montage, du récit. Lilian (1992) et Thirteen (1997), films de fiction inspirés de vies réelles, mettent d’emblée à mal toute forme d’identification durable des enjeux, brillent de l’éclat de ces films à la fois si solitaires et pourtant surpeuplés. D’un côté, une femme noire d’une cinquantaine d’années, veillant chez elle des personnes âgées de toute appartenance ethnique durant leurs derniers jours, parfois jusqu’à leur dernier souffle, tout en accueillant des orphelins à peine nés le temps de leurs premiers pas. De l’autre, la même femme, mais dans un autre rôle, quelques années plus tard, s’enquérant de la disparition de sa fille de 13 ans, puis observant avec bienveillance cette même fille retrouvée durant sa crise identitaire, ses balbutiements amoureux, sa recherche d’un petit job qui lui permettrait de s’acheter la voiture dont elle rêve, bref, durant la fin de son enfance.
 
Lilian et Thirteen, s’ils s’apparentent dans l’esthétique au pur documentaire, ont, chacun à son rythme et à sa manière, l’élégance de ne prêter à aucun malentendu : bien que filmés au plus près de l’os, ces récits soutenus par la voix off de la même (et formidable) Lilian Foley sont bel et bien des fictions. La première, centripète, est centrée de bout en bout autour du même lieu, le pavillon de banlieue de Lilian. L’énergie du film repose sur un ancrage, voire une aimantation. Toutes les scènes ou presque reposent sur des conversations du personnage titre non seulement avec les individus jeunes et moins jeunes dont elle s’occupe seule, mais aussi avec les enfants de certains de ces individus, les travailleurs sociaux, sa petite fille Nina (dont l’interprète sera l’héroïne du second film), qu’elle élève à la place de Maria, sa fille, dont le soudain accès d’autorité sera déclencheur d’une mémorable dispute. La grandeur de ce film ne tient – en apparence – que sur cet équilibre instable des rapports humains de tous les jours, le terrain unique que reste la maison de Lilian tenant lieu de catalyseur des contradictions comme des élans de tendresse. Mais par dessus tout, c’est bien la voix off qui, par la subjectivité qu’elle infiltre dans l’image, confère au film entier une dimension à la fois réaliste et spectrale, achevant de garantir que bien d’autres existences accompagnent au jour le jour Lilian, le souvenir de tous ceux qui sont partis (les morts, les enfants de passage) en même temps que l’accueil prémonitoire de tous ceux qui arrivent.

 

 

Plus solaire, davantage éclatée, l’esthétique de Thirteen se veut celle d’un constant flottement des corps et des esprits, d’un pur principe de velléités existentielles. Nina, donc, sera cette fois le vecteur de toute potentialité de vie, de carrière, de destin. Fascine la manière dont le film, au départ assez chaotique, tisse au final un lien entre chacune de ses composantes, sans jamais se stabiliser. Du pur et simple coq à l’âne. Comme la jeunesse, exactement ! Mais ne pas croire pour autant que cette fiction adolescente cherche, à l’instar du film homonyme de Catherine Hardwicke sorti l’année suivante (2003), à dresser, en même temps que le portrait d’une femme en devenir, celui de l’Adolescence Américaine, toute de révolte, de départs, retours et autres chocs générationnels. Non, Williams, en grand peintre, esquisse le portrait de Nina par touches délicates, se permettant même d’insérer régulièrement au fil des moult engagements et désengagements de la jeune fille, les étapes de la réalisation littérale d’un portrait sur toile qui, devinez quoi, ne comblera pas totalement l’ego du modèle. Mais aux caprices parfois hilarants de Nina s’associent surtout idéalement, ici aussi, non seulement le commentaire off de sa mère, mêlé de douceur et d’ironie, mais surtout sa voix in, les échanges entre mère et fille prenant au fur et à mesure que l’année s’écoule une tournure mélancolique souvent bouleversante : « Qu’est-ce que je deviendrais si tu n’es plus là ?, demande l’une – Je ne me fais pas de souci pour toi, répond l’autre ».

Bonus

Puisque évidemment ces seuls longs métrages ne montrent pas tout, ED Distribution nous gratifie dans ces deux DVD de l’intégralité des courts et moyens métrages réalisés par David Williams. Suppléments qui, tout en étant prometteurs de cette maîtrise mêlée de souplesse à venir, donnent chacun à leur manière une idée des raisons du passage de Williams du pinceau à la caméra. A découvrir d’urgence, même si dans ce monde-là, il n’est bien sûr jamais trop tard.

DVD accompagnés d’un livret couleur anglais/français de 60 pages.

                                                                                                   


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