David Ayer, L.A Interracial

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Michael Mann et David Ayer partagent la même fascination pour Los Angeles, ses lumières, ses cultures, ses flics et ses voyous…

Tandis que le premier, avec Heat (1995) et Collateral (2003), développe un style sobre et épuré, le second, avec Harsh Times (2006) et Street Kings (2008), éclabousse l’écran des couleurs chaudes de la ville. Les deux premiers films de David Ayer en tant que réalisateur font fortement écho à son travail de scénariste pour Training Day (2001) d’Antoine Fuqua. Ces trois films reposent à chaque fois sur un couple masculin : Denzel Washington – Ethan Hawke pour Training Day, Christian Bale – Freddy Rodriguez pour Harsh Times et Keanu Reeves – Forest Whitaker pour Street Kings, soit un blanc et un noir, ou bien un blanc et un latino. Cette manière d’aborder la question ethnique de la ville permet également de réveler une partie cachée de la personnalité du héros à travers son partenaire noir ou latino.

L’esthétique de la violence

L’idée de communauté se construit alors en dehors de la notion d’ethnie, car David Ayer fait ressortir de la ville des valeurs qui vont au-delà de la couleur de la peau : le respect de la loi, l’amitié virile et l’amour sont celles que le scénario souligne dans chacun des films. Cependant, le métissage de Los Angeles crée des tensions et de la violence, soit physique (fusillades et bagarres), soit verbale (insultes racistes et sexistes). Par conséquent, l’esthétique recherchée est à la croisée des questions ethniques et de la violence qui en résulte, ce qui donne un mélange de couleurs chaudes, de formes acérées et d’effets d’accélaration à l’écran. Les trois films agissent comme une poussée d’adrénaline qui est à mettre en relation avec la consommation de produits stupéfiants (Training Day et Harsh Times), et d’alcool (Street Kings), par les héros blancs, tourmentés et hors d’eux-mêmes. De plus, les personnages latinos et noirs qui peuplent Los Angeles alimentent une violence sourde, haineuse, teintée de racisme ambient. Ce dernier est omniprésent, surtout dans Street Kings, où le personnage de Keanu Reeves préfère se faire passer pour un flic raciste plutôt que d’expliquer ses pulsions meurtrières. On retrouve les mêmes déchaînements de violence dans le personnage de Christian Bale, tandis que celui d’Ethan Hawke apparaît davantage en rupture avec le cycle de la violence.

La ville des anges se dessine comme une ville de tensions et d’affrontements, au sein de laquelle les esprits cherchent des courbes de lumière et des spectres incandescents pour s’échapper des avenues rectilignes et des angles droits. D’ailleurs, la façon de filmer les rues par hélicopter introduit un regard transversal qui viendrait "casser" les angles. Par comparaison, Michael Mann utilise des plans aériens à 90 degrés. David Ayer, lui, préfère les plans obliques à 45 degrés dont l’effet de plongée dans la ville est particulièrement saisissant. Les deux réalisateurs, avec leur style personnel et remarquable, cherchent à capter les lumières et les mouvements, tout en essayant de saisir le sens des relations humaines au sein de L.A, ville de tensions raciales et de tourbillons de violence.

Filmographie

Training Day (2001) d’Antoine Fuqua
Harsh Times (2006) et Street Kings (2008) de David Ayer


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