Dans la cuisine des Nguyen

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Défaire les normes

Alors qu’elle enchaîne boulots alimentaires et petits rôles, Yvonne Nguyen, une comédienne franco-vietnamienne, est sur le point de réaliser son plus grand rêve : jouer dans une comédie musicale dirigée par un grand metteur en scène parisien. Mais au fur et à mesure qu’elle passe les différents tours d’auditions, elle réalise que le spectacle propose une vision stéréotypée de l’Asie. Yvonne se trouve ainsi face à un dilemme : doit-elle accepter ce rôle discriminant ou perdre une chance de faire enfin décoller sa carrière ?

Premier long-métrage pour Stéphane Ly-Cuong, mais déjà un univers bien rodé qu’il explorait dans un spectacle intitulé Cabaret jaune citron, monté il y a 10 ans. Si le film n’est pas une adaptation de ce précédent projet, il réemploie tout de même le personnage d’Yvonne Nguyen — que l’actrice Clotilde Chevalier interprétait déjà — ainsi que les problématiques qui l’entourent : absence de représentation de personnes asiatiques dans les milieux artistiques et pression des traditions familiales. 

Sur le ton de la comédie musicale, Dans la cuisine des Nguyen semble jouer des clichés sur les populations asiatiques. En réalité, bien plus que de ressorts humoristiques, le film s’emploie à déconstruire ces idées reçues. Cette entreprise passe notamment par des séquences se déroulant dans le restaurant de la mère d’Yvonne, permettant de nous faire découvrir des spécialités et des traditions vietnamiennes, remédiant par la même occasion, aux stéréotypes sur la cuisine asiatique. La cuisine devient ainsi un lieu de partage et de transmission pour le spectateur mais aussi pour Yvonne, en pleine introspection sur sa double culture. 

Pour plaire lors des auditions, Yvonne doit se risquer à des demandes relevant d’un racisme systémique latent en France. Le metteur en scène lui demande par exemple de dépeindre les paysages lui évoquant “son pays”. Cette situation témoigne de la manière dont les productions dominantes tentent d’imposer aux personnes racisées un certain type de représentation et n’ayant jamais mis les pieds au Vietnam, Yvonne se voit contrainte de décrire le papier peint du restaurant de sa mère, représentant la baie d’Halong. 

À travers cette séquence, le film soulève également la question suivante : comment parler de sa culture sans évoquer les stéréotypes et le folklore ? Au-delà d’un propos moralisateur, Stéphane Ly-Cuong opte pour la voie de l’humour invitant à réfléchir à la question. Il n’existe pas de bonnes réponses comme le montre la scène du dernier tour d’audition où Fu Fen, concurrente d’Yvonne, adopte un accent vietnamien. Yvonne lui fait alors remarquer qu’elle ne devrait pas renforcer les clichés associés aux vietnamiens, mais Fu Fen lui rétorque qu’elle est fière de cet accent rendant hommage à celui de ses parents. Bien que le film ne porte pas de jugement sur le choix de Fu Fen, il privilégie néanmoins celui d’Yvonne : abandonner son rêve de carrière pour rester fidèle à elle-même. Plus qu’un discours sur la quête identitaire, Dans la cuisine des Nguyen ouvre la voie à un chemin alternatif en s’éloignant des sentiers battus des productions dominantes, avec l’espoir qu’il est possible de créer en défaisant les normes établies.  

Titre original : Dans la cuisine des Nguyen

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Durée : 100 mn


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