Crazy Amy

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Un divertissement qui brille par ses pantomimes. Sans doute le film de Judd Appatow le plus réussi à ce jour.

« Colombine rêve, surprise / De sentir un cœur dans la brise / Et d’entendre en son cœur des voix. » Colombine, c’est ce personnage féminin vif et mutin de la commedia dell’arte, genre de théâtre populaire italien du XVIème siècle, fait de marivaudage avant l’heure, de naïveté et de malice. Cette dernière strophe de Pantomime, écrit par Paul Verlaine dans ses Fêtes Galantes (1869) et qui emprunte au théâtre italien pourrait être un double d’un autre temps d’Amy, héroïne de Crazy Amy, interprétée par la pétillante Amy Schumer dans le dernier long métrage de Judd Apatow (après 40 ans, toujours puceau (2005) ; En cloque, mode d’emploi (2007) ; Funny People, 2009 ; et 40 ans : mode d’emploi (2013)). La comique de stand-up, qui a également participé à l’écriture du scénario du film, incarne une Colombine bien sentimentale sous des dehors de détachée grivoise. Réticente à l’engagement dans une relation sentimentale en raison de son père (taquin Colin Quinn) qui lui assène depuis toute petite que « la monogamie ne marche pas », celle-ci enchaîne les relations aussi légères que périssables. Tout le contraire de sa sœur Kim (Brie Larson) qui, elle, a pris le contrepied en développant une relation affective stable, entre un gentil mari et un jeune fils singulier. Le scénario est certes classique, sans surprise (la rétive Amy succombera au charme du bienveillant médecin Aaron Conners) et à le regarder, on s’amuse de ce que les Américains ne sortiront jamais de l’héritage paradoxal qui a construit leur culture : un fonds issu des Lumières du XVIIIème siècle, collé à un puritanisme qui demeure redoutable et rend l’image qu’il donne de leurs mœurs toujours très prévisible. Les blagues « trash » d’Amy ne forment finalement qu’une couverture à son intérieure fleur bleue. En somme, du côté de l’intrigue, on pourrait dire : beaucoup de bruit pour rien.

Pour autant, Crazy Amy (en anglais, Trainwreck, littéralement, désastre) présente de vraies qualités. A la Colombine légère qu’est Amy s’accorde toute une galerie de personnages qui pourraient se substituer au peuple de la commedia dell’arte (le bienheureux Arlequin, le fourbe Scaramouche,…) – toutes proportions gardées concernant les situations sociales de chacun. Dans ce film sont réunis un médecin sportif attentionné (Bill Hader), un mari un peu coincé (Mike Birbiglia), un véritable catcheur (John Cena), une authentique star du basket (James Le Bron), un jeune stagiaire libéré (Ezra Miller) et une tordante patronne d’un The Sun branché pour métrosexuels (Tilda Swinton). Cet assemblage de personnages donne au film sa vie et son éclat. L’abondance qui est le lot de Crazy Amy n’est pas tant dans sa suite de jeux de scène que dans le déploiement agréablement interminable de sa verve qui est le propre de cette culture du stand-up singulière aux Etats-Unis et dont Amy Schumer est un bel exemple. Celle-ci met à l’œuvre au cinéma ce comique de scène, de Saturday Night Live, souvent solitaire, qui mêle des anecdotes avérées ou glanées dans la vie de tous les jours, à une (auto) dérision toujours bienvenue. A ce titre, l’actrice et comique est pour beaucoup dans la qualité du film. Ces interventions, bien qu’elles s’inscrivent dans le même esprit que les précédents films de Judd Apatow, présentent une finesse enthousiasmante, calibrées le plus souvent et ne tombant pas dans l’humour adolescent qui a pu être assez douteux dans Funny People (2008) par exemple.

C’est qu’Amy Schumer ne maîtrise pas seulement une forme d’efficacité comique des joutes verbales, la gestuelle qui l’accompagne possède également une valeur qui n’est pas si courante. La commedia dell’arte qui inspirait Paul Verlaine, se caractérisait, comme le dit le poème, par sa pantomime. Tel est peut-être le mot à retenir pour définir le film de Judd Apatow et le juste renouveau de sa carrière. Il s’agit d’un jeu de pantomime dopé aux mots que le réalisateur n’avait jamais poussé de manière aussi subtile auparavant. Elle fait son lit de la clownerie, de l’humour, grâce à l’expressivité d’un visage (l’outrance faciale de Tilda Swinton) mais aussi grâce au décalage. Lorsque Amy teste un tapis de course dans une salle de sport, Adam lui fait découvrir un écran qui retranscrit instantanément son mouvement de balancier, afin d’analyser l’effort produit pour chaque muscle, nous donnant à voir avec une précision qui engendre le comique la version de la démarche chaloupée de la jeune femme. De cette silhouette donnée à voir, comme ces mannequins de bois utilisés pour le dessin, émerge un beau et cocasse geste keatonien, livré tout en sourire.

Titre original : Trainwreck

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Durée : 125 mn


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