Computer Chess

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<< Le véritable avenir de l´informatique ? La drague. >>

L’ambiance est « awkward »*, littéralement. Le mot anglais exprime bien le sentiment d’embarras doublé de curiosité ressenti devant Computer Chess. Dans les couloirs au sol moquetté d’un hôtel américain se prépare l’annuelle compétition de jeux d’échecs, dont les participants sont des programmes informatiques. Ce genre de rendez-vous, ici restitué par Andrew Bujalski dans une fiction, a bien eu lieu au début des années 80.

Réalisé en noir et blanc avec une caméra vidéo datant d’avant la VHS, l’image carrée est traversée de zébrures, de sautes, d’inserts étranges au contraste éblouissant (littéralement, on cherche ses lunettes de soleil). On s’y croirait. La tonalité documentaire suit l’événement sur quelques jours, sans jamais quitter les couloirs de l’hôtel, hormis pour une séquence. La plongée dans un milieu et ses protagonistes est effective dès la première scène où le président de la compétition, dernier humain encore invaincu par les programmes, débite un speech de bienvenu ennuyeux à souhait. Entre parties d’échecs et accros à la compétition, machines détraquées et découvertes scientifiques, le film installe un rythme ronronnant, plein de gêne et de petites victoires. L’intelligence artificielle comme sujet du film donne justement à voir combien la quantité d’interactions humaines nécessaires à son développement est le véritable atout du film. Les hommes sont plus fascinants que les machines qu’ils tripotent, et évidemment, les comportements des petits génies de l’informatique dans les années 80 font écho à notre propre gestion des technologies, nouvelles ou prévues pour un futur proche (la tentative, manquée, de Her).
 
 

En ce sens, le film offre bien plus que la reconstitution d’un milieu, il appelle à un goût visuel actuel pour les formats de pellicules vintage ainsi qu’au penchant pour la chemise en coton étroite surmontée de cheveux gras, constitutifs de l’univers « nerds ». Tantôt moqués, tantôt adulés, aujourd’hui plutôt en vogue (une série AMC en préparation, Halt & Catch Fire, elle aussi dans les 80’s), le nerd et ses déclinaisons – geek, nolife ou gamer – subissent les aléas de la culture populaire depuis la fin des années 50 aux Etats-Unis. Personnalité iconique d’un certain type de génie à l’américaine (Steve Jobs, Mark Zuckerberg) forcément incapable de sociabilité, le nerd innerve les productions culturelles, des comics aux séries télés, producteur de contenu autant que de personnages cultes. Ici, le cinéaste en a toute une bande à filmer et inévitablement, le background culturel de ce personnage n’échappera pas au spectateur. De même, plusieurs références à 2001, l’Odyssée…(1968) ou à WarGames (1983) alimentent l’univers geek lui-même, semant des indices de sa propre culture.

Les scènes les plus réussies mêlent justement le grand sérieux des conversations – incompréhensibles – sur l’avenir de l’informatique avec la gêne physique des jeunes génies en présence de l’unique fille de la compétition. Les interférences humaines laborieuses entre les participants se heurtent dans la seconde partie du film à un groupe de quinquas en plein séminaire New Age. Partageant les salles de conférence de l’hôtel, les deux groupes entrent en collision. En pleine recherche de leur « moi » et de l’expression de toute forme d’énergie vitale, un couple propose au plus jeune des programmateurs, qui est aussi le plus timide, une initiation sexuelle. Gêne et rire embêté, mécanique comique éprouvée du cinéma américain dès lors qu’un nerd a affaire au sexe. Inévitablement, inconsciemment ou non, les personnages de Computer Chess viennent s’ajouter à la longue liste des mythiques figures du genre. Chacun les siennes évidemment. Le réalisateur de Funny Ha Ha regarde ses personnages comme les originaux, les précurseurs ayant ouvert la brèche, suscitant une sincère tendresse.

* gênant, embarrassant.

Titre original : Computer Chess

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Durée : 92 mn


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