Cet appétit de filmer, en même temps qu’il confère à chaque film (par excellence dans le tchékhovien Partition inachevée pour piano mécanique, 1977) une folie préservant de tout ennui, participe pourtant aussi de la mesure susceptible d’accompagner cette (re)découverte presque exhaustive de l’œuvre. Comme le souligne plus d’une fois Murat, Mikhalkov n’est pas l’auteur le plus aimé du cinéma contemporain, beaucoup voyant principalement en lui le copiste plutôt doué de signatures plus admirées (Ophüls, Bergman, Fellini…). Et c’est justement à la lumière de ce désamour, qui n’empêcha aucunement le cinéaste de trouver des partisans du côté du public comme de la critique, que chaque point d’analyse, chaque flottement, chaque interprétation émise par la voix toujours très posée de Pierre Murat trouve sa pertinence.
Réalisés entre 2009 et 2010, ces commentaires d’environ un quart d’heure chacun invitent, suite à la vision du film, à lire en ce cinéma plus de nuance, de profondeur qu’il n’y paraît. Mieux encore, lorsque la magie d’un film entier ou d’une séquence particulière (le finale lyrique de Partition inachevée, voyant l’antihéros Platonov rattrapé in extremis par son épouse le suppliant d’accepter son amour, et ainsi s’accepter enfin lui-même ; les larmes après l’amour d’Anna, la maîtresse russe des Yeux noirs ; la fin de vie elliptique du héros de Quelques jours de la vie d’Oblomov – 1980, détonnant d’avec la cruauté du long récit de Gontcharov, dont le film est adapté…) semblaient combler d’eux-mêmes, quelque chose comme l’« âme russe » du critique confère à notre propre émotion une distance analytique salutaire. Le commentaire comme pur et simple « réarrangement » du film, donc, au sens musical du terme.
Reste à savoir si la connaissance et l’adhésion personnelle de Pierre Murat suffisent à définir Mikhalkov comme cinéaste mésestimé (certainement pas maudit, tant l’œuvre, jusqu’en ses régulières audaces politiques – notamment dans une remise en question explicite du système communiste dans un film comme Cinq soirées – 1979, laissant deviner la progressive anesthésie des passions humaines orchestrée par le régime – semble épargnée de toute censure). Tentative de réponse, n’engageant bien sûr que votre serviteur : pas tout à fait. En raison déjà d’une tendance à l’hystérie, la saturation recouvrant trop souvent le moindre mystère, niant tout principe d’incertitude. Plus d’une fois (particulièrement dans La Parentèle – 1981, de l’avis de Murat lui-même, son film le plus lourd de sens, sans doute le plus vain), s’esquisse l’impression d’un cinéma sinon arrogant, dans tous les cas trop sûr de son spectacle, trop plein de lui-même pour ouvrir au désir de l’interroger.
Plus problématique surtout, bien que cela soit moins un reproche qu’une circonspection, la plupart de ces films, au-delà même du fait que tous ou presque esquivent le contemporain, apparaissent comme trop chargés d’intentions, à la fois artistiques (toujours plus de forme) et humanistes (la fantaisie est souvent un trompe-l’œil, annonce une repentance, une déclamation de solitude facile à anticiper). L’évidente maîtrise, le charme assez unique de ce cinéma ne le préservent ainsi pas d’une dimension programmatique parfois trop visible, trop saisissable (jusque dans la structure d’un film pourtant aussi beau que Sans témoins – 1983). Réserves n’invitant heureusement pas à se priver de la juste réévaluation d’une œuvre très vivante, faisant de chaque image une quête, le fruit d’une petite victoire sur les impasses du monde réel.
Bonus
Outre les commentaires de Pierre Murat, chaque DVD est accompagné de l’interview d’un membre éminent du « clan Mikhalkov » (co-scénariste, chef décorateur, compositeur…) voire du cinéaste lui-même, aidant à mesurer le degré de doute et de conviction accompagnant la préparation puis la réalisation de chaque film.
