A ceci près que trop souvent, à la noblesse des intentions, s’allie comme une dilution totale de la forme, la mise en scène, le cinéma dans la compassion pour les victimes de ce statu quo, l’affadissement pur et simple de films jamais à proprement parler « mauvais » (quoique certains…), mais rarement vraiment bons non plus (à l’exception du beau Kes, Family life, Regards et sourires, et surtout de Ladybird et Sweet sixteen, seuls de ses films à regarder la vraie violence, la vraie cruauté de la vie en face, ou en tout cas la représenter sans fard) à force de bonnes intentions.
The Gamekeeper (1980), encore inédit dans nos salles, a en ce sens le mérite de justement privilégier le quotidien d’un travailleur, la pratique de son métier de garde-chasse élevant des faisans en vue de leur chasse prochaine par le duc qui l’emploie. Film élégant, très fluide dans son approche réaliste du sujet, permettant notamment de mesurer à quel point Loach, quand il le veut bien, peut être un extraordinaire filmeur, à défaut d’un grand metteur en scène. Regarder The Gamekeeper équivaut pour ainsi dire à partager le pur plaisir du passage des saisons – un peu à la manière de l’exemplaire Lady Chatterley de Pascale Ferrand – et l’absence de drame réel accompagnant la vie de ce gamekeeper et sa petite famille.
Là où à l’inverse Raining Stones (1993), film culte pour nombre de loachiens, sommet de l’œuvre si l’on se réfère aux critiques dithyrambiques de l’époque, marque bien l’abandon par le cinéaste de tout souci esthétique au profit, nous le disions, de la solidarité. Nous accompagnons donc Bob et Tommy, deux attachants prolos à la misère soulignée par l’immuable tenue vestimentaire (éternel survêtement pour l’un, vieux bonnet pour l’autre), l’allure de chiens errants au bout du rouleau, mais surtout l’énumération dans au moins une scène – sinon plus – de leurs galères et impasses du moment.
Une fois encore, la noblesse de l’homme et de ses intentions éclipserait donc en partie la possibilité d’une simple approche critique, d’une évaluation autonome et déculpabilisée de chaque film à sa seule mesure. Car oui, pour quelques-uns, Raining Stones est juste un très mauvais film, mal fichu, pas trop mal joué mais sans plus, même pas vraiment émouvant. L’édition simultanée dans la même collection des coffrets Loach et Beauvois, en même temps qu’elle invite à une réévaluation salutaire et distanciée du style et des convictions de chacun, peut aussi avoir ceci d’assez cruel qu’elle met à jour une autre forme d’inégalité, ne pouvant elle se soutenir d’aucune confusion entre forme et fond : celle d’un point de vue de cinéaste, de l’aptitude d’un homme à la caméra à édifier un film, une œuvre, à partir de ses intentions humanistes (de ce point de vue précis, les deux hommes sont largement égaux, sinon secrètement frères) et non uniquement avec elles. Une inégalité de « regard » ? Probablement.