Coffret 2 DVD Ken Loach

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Toujours dans la collection « 2 films de », l’édition DVD de deux longs métrages d’un autre cinéaste travaillé par le sort des hommes et l’abandon du peuple : Ken Loach. Une oeuvre beaucoup moins passionnante, mais d’une honnêteté interdisant tout mépris.

Comment pourrait-on en vouloir à Ken Loach, ne pas partager les inquiétudes de l’homme, et parfois du cinéaste, son constat récurrent que quelque chose décidément ne tourne pas rond, que plus que jamais, il est d’utilité publique de donner la parole mais surtout rendre une image aux prolétaires, aux désœuvrés ? Le cinéaste britannique est en effet depuis ses débuts le fer de lance d’un certain cinéma « politique » anglais qui, s’il ne s’apparente pas exactement à l’avant garde du « Free cinéma », à par exemple la fibre insurrectionnelle d’un Lindsay Anderson, a au moins cette particularité de savoir dire « non », prendre origine dans le refus d’un certain statu quo.

A ceci près que trop souvent, à la noblesse des intentions, s’allie comme une dilution totale de la forme, la mise en scène, le cinéma dans la compassion pour les victimes de ce statu quo, l’affadissement pur et simple de films jamais à proprement parler « mauvais » (quoique certains…), mais rarement vraiment bons non plus (à l’exception du beau Kes, Family life, Regards et sourires, et surtout de Ladybird et Sweet sixteen, seuls de ses films à regarder la vraie violence, la vraie cruauté de la vie en face, ou en tout cas la représenter sans fard) à force de bonnes intentions.

The Gamekeeper (1980), encore inédit dans nos salles, a en ce sens le mérite de justement privilégier le quotidien d’un travailleur, la pratique de son métier de garde-chasse élevant des faisans en vue de leur chasse prochaine par le duc qui l’emploie. Film élégant, très fluide dans son approche réaliste du sujet, permettant notamment de mesurer à quel point Loach, quand il le veut bien, peut être un extraordinaire filmeur, à défaut d’un grand metteur en scène. Regarder The Gamekeeper équivaut pour ainsi dire à partager le pur plaisir du passage des saisons – un peu à la manière de l’exemplaire Lady Chatterley de Pascale Ferrand – et l’absence de drame réel accompagnant la vie de ce gamekeeper et sa petite famille.

 
Il est bien sûr tout à fait possible de dépasser cette langueur, cette quasi démission de toute forme d’engagement autre que strictement audio-visuelle par quelque observation aiguisée des paradoxes du personnage, ancien ouvrier privilégiant désormais l’allégeance à cette haute bourgeoisie qui lui permet de vivre en adéquation avec les grands espaces de cette propriété privée, de consacrer son temps à prendre son temps, quitte à se mettre à dos ses anciens camarades (comme chez Beauvois, une histoire de singularité d’un homme du peuple, donc). The Gamekeeper se veut d’ailleurs de toute évidence bien plus qu’un faux documentaire sur le métier de garde-chasse : une discrète mais réelle satire de l’ère Tatcher, teintée ici et là de lointains accents altmaniens. Reste qu’en l’état, c’est pourtant bien la beauté simple, l’immanence du « rien » qui séduit trente ans après. Ce qui est déjà pas mal.

Là où à l’inverse Raining Stones (1993), film culte pour nombre de loachiens, sommet de l’œuvre si l’on se réfère aux critiques dithyrambiques de l’époque, marque bien l’abandon par le cinéaste de tout souci esthétique au profit, nous le disions, de la solidarité. Nous accompagnons donc Bob et Tommy, deux attachants prolos à la misère soulignée par l’immuable tenue vestimentaire (éternel survêtement pour l’un, vieux bonnet pour l’autre), l’allure de chiens errants au bout du rouleau, mais surtout l’énumération dans au moins une scène – sinon plus – de leurs galères et impasses du moment.

Écrivant cela, on mesure bien sûr le degré d’ambiguïté dont ces mots peuvent être porteurs : faudrait-il embellir la misère, la rendre « cinégénique » au prétexte qu’elle fait mal aux yeux ? N’y a-t-il que le beau-parler rohmerien qui mérite le salut critique ? Loach n’a-t-il pas raison de montrer la vie de ces gens telle qu’elle est vraiment, telle que lui-même l’observe au jour le jour ? Surtout, qui d’autre que lui ose faire des films avec ces gens-là ? Tarantino et son Reservoir dogs, sa Pulp Fiction ? Alain Resnais, plus occupé dorénavant à filmer des idées, des divagations qui a priori n’appartiennent qu’à lui (Smoking ? / No Smoking ?) qu’à se confronter à la nuit et au brouillard, aux sacrifiés des années 90 ?

Une fois encore, la noblesse de l’homme et de ses intentions éclipserait donc en partie la possibilité d’une simple approche critique, d’une évaluation autonome et déculpabilisée de chaque film à sa seule mesure. Car oui, pour quelques-uns, Raining Stones est juste un très mauvais film, mal fichu, pas trop mal joué mais sans plus, même pas vraiment émouvant. L’édition simultanée dans la même collection des coffrets Loach et Beauvois, en même temps qu’elle invite à une réévaluation salutaire et distanciée du style et des convictions de chacun, peut aussi avoir ceci d’assez cruel qu’elle met à jour une autre forme d’inégalité, ne pouvant elle se soutenir d’aucune confusion entre forme et fond : celle d’un point de vue de cinéaste, de l’aptitude d’un homme à la caméra à édifier un film, une œuvre, à partir de ses intentions humanistes (de ce point de vue précis, les deux hommes sont largement égaux, sinon secrètement frères) et non uniquement avec elles. Une inégalité de « regard » ? Probablement.


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