Cléopâtre

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Cléopâtre est un film historique qui raconte en deux parties les amours de la reine d’Egypte avec deux éminents personnages : César puis Marc-Antoine.

Un film en deux parties

Le traitement formel et narratif font de l’oeuvre, un film en deux parties et non pas deux films à distinguer. Ainsi, il serait inintéressant de traiter les films comme des parties indépendantes.

Au niveau de la narration, les deux histoires d’amour se ressemblent : les deux se fondent sur un rapport de force, se décident sur le lit de Cléopâtre et finissent par le déclin puis la mort du romain. La deuxième partie du film se veut plus sentimentale et bien moins désintéressée que la première qui apparaît davantage comme un accord territorial.
Sur le plan formel, les marques de fabrique du réalisateur restent les mêmes. Il y a toujours cette même façon de traiter l’Histoire, avec ces images fixes qui permettent à la voix off de contextualiser ce que Mankiewicz ne fait pas apparaître à l’écran.

Au niveau de la qualité des deux parties, la première est meilleure. Moins romanesque, moins bon public, mais davantage politique, la réalisation, plus originale se montre parfois amusante avec une figure de César pas seulement politique mais très humanisée.

Entre le film commercial et le film d’auteur

Certains éléments nous font hésiter lorsque l’on se pose la question de la nature du film. Est-ce un film commercial, destiné seulement à séduire, où est-ce un film d’auteur, propre à son réalisateur qui se préoccupe de l’aspect artistique du film ?

Beaucoup d’éléments placent le film dans le panier des films commerciaux à commencer par le coût faramineux du film. Ensuite, le sujet qui porte sur une trame historique très présente dans les représentations collectives devait avoir pour but d’assurer un minimum d’entrées. Et puis, que dire, du choix bankable d’engager Elizabeth Taylor, véritable vedette des années 60.
D’un autre côté, comment imaginer une autre actrice que Taylor, pour incarner un personnage historique aussi symbolique que Cléopâtre. Très bon choix, la personnalité de son personnage, ainsi que la qualité de son interprétation éclaboussent le film et donnent du relief aux dialogues et aux scènes. Le contrepied à la machine hollywoodienne vient du choix de Mankievicz consistant à donner une importance aux dialogues -très bien faits et joués- qui sont les véritables moteurs de l’action. Evitant le spectaculaire, les campagnes militaires sont ainsi quasi-inexistantes à l’image.

En définitive, même si de nombreux arguments le placent du côté de l’industrie hollywoodienne, le talent de mise en scène et les effets de montage sont la preuve que l’argent n’est pas forcément un obstacle au talent et à la réussite artistique. Et puis, on ne peut que s’émerveiller devant certaines scènes grandioses, comme celle de l’arrivée officielle à Rome de Cléopâtre, la beauté des décors et des tenues de la reine.

Le traitement historique

En tant que production historique, le film paraît très clair et très abordable pour des spectateurs pas forcément spécialistes sur une période de l’histoire plutôt complexe.
Mais le plus historique du film réside dans ses allusions fréquentes à la civilisation grecque et à Alexandre. Alexandre est le véritable modèle du conquérant, qui a 23 ans était à la tête du Empire immense dépassant les frontières du monde connu. Aussi, la civilisation grecque était considérée par les romains eux-même comme supérieures à la leur. Avec en plus l’évocation de la peur du peuple de Rome de voir régner un tyran, la réalisation propose donc une immersion dans les mentalités romaines.

Cependant, sur quelques points historiques le film est décevant. L’âge de Cléopâtre est inférieur de 30 ans à celui de César, ce qui ne paraît pas être le cas dans le film. Pour continuer sur les âges des personnages, Césarion lorsqu’il fuit le palais, avait historiquement 17 ans, ce que le film ne respecte pas. Enfin, les enfants de Marc-Antoine et Cléopâtre sont invisibles à l’écran, ce qui semble très étonnant. Mais l’erreur la plus importante et sans doute l’apparition du terme de «nation» employé de façon anachronique.

Quoiqu’il en soit, le film très intéressant, et bien réalisé mérite d’être vu. La réalisation aura donc rentabilisé ses longues années de conception et la somme d’argent investie par la Fox. Ceci grâce à Mankievicz, qui fait de ce péplum, une réussite qu’il rayera pourtant de sa filmographie.


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