Cinélatino de Toulouse : << une esthétique de la politique >>

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Du 23 mars au 1e avril, le festival Cinélatino ouvre ses portes à Toulouse. Pour sa 24e édition, l´ex-Rencontres Cinémas d´Amérique Latine cherche toujours à montrer de nouvelles cinématographies. Exploration avec Erick Gonzales, chargé de programmation pour la cinquième année.

À la tête du Cinélatino, l’Association Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse (A.R.C.A.L.T.) est assez atypique dans le milieu des festivals de cinéma. Formée il y a un peu moins de trente ans, elle était au départ plus agitée par des préoccupations politiques que cinéphiles. « Son noyau dur est composé de militants qui ont découvert l’Amérique Latine au cours des années 1970, à l’époque où de nombreuses dictatures étaient en place » explique Erick Gonzales, chargé de programmation.

Dans les années 1980, lorsque les systèmes autoritaires ont commencé à s’effondrer, l’association a trouvé dans le septième art le lien qui l’unissait à ce sous-continent, d’autant plus que ce cinéma était alors chichement représenté en Europe. « Certains fondateurs sont encore présents et actifs au sein du festival » témoigne le chargé de prog. Chilien d’origine, venu en France à Toulouse après être passé par Montpellier pour y suivre des études en cinéma, ce dernier reconnaît que la question politique continue d’agiter le festival. « En tout, nous sommes onze personnes à nous occuper de la sélection des films. De mon côté, étant moi-même latino-américain, j’ai peut-être une autre approche, avec un recul différent. » Il n’estime pour autant pas que sa place soit due au hasard, mais se sent davantage concerné par l’aspect « esthétique » des œuvres.

Nouvelles générations

Par ailleurs, les questionnements politiques ont pu évoluer dans le cinéma sud-américain. À l’image de Bonsai, film du chilien Cristian Jimenez ayant bénéficié du programme " Cinéma en Construction " du festival (voir plus loin). Dans cette comédie douce-amère apparaîssait en filigrane une « société post-dictature », thème déjà abordé précédemment par ce réalisateur, dont la génération a été la première à connaître son pays libre. « Les jeunes générations n’ont pas connu directement la dictature, ou ne s’en souviennent pas, mais ils ont été marqués par elle » reprend Erick Gonzales. « Que ce soit à cause d’histoires familiales, ou tout simplement parce qu’elle fait partie de l’empreinte d’un pays. » D’autres films continuent d’aborder la question frontalement, à l’image de El Lenguage De La Machete, dans lequel un couple au mariage arrangé cherche à se révolter et en vient à envisager une « voie extrême ». Annoncé comme dérangeant, le film du Mexicain Kyzza Terazas fait partie de la section compétition du festival, qui compte également le policier argentin La Destrucción Del Orden Vigente d’Alejo Franzetti.

Parallèlement, le Cinélatino propose une thématique sur un cinéma argentin « en plein renouvellement », après des décennies très « marquées par un contenu politique » (on y revient). Contenu qui n’a pas pour autant disparu mais dont le spectre s’est désormais élargi. La politique se manifeste parfois via des choix de systèmes de production – ou leur refus.  « Il y a toute une bande de jeunes réalisateurs argentins qui refuse les aides d’Etats et tient un discours qui dépasse le cadre de la cinéphilie. Mais cela reste un cinéma impressionnant de dynamisme avec un travail de mise en scène vigoureux » renchérit Erick Gonzales. Et de citer ainsi Historias Extraordinarias de Mariano Llinás , surréaliste film de quatre heures (!) dans lequel une moisson de personnages est embarquée dans trois histoires parallèles. « Ces jeunes réalisateurs ne se connaissent pas forcément mais leurs films ont des liens très forts. Même s’ils n’en sont pas toujours conscients » sourit-il.

Une familiarité que l’on retrouve aussi chez les cinéastes uruguayens, très portés sur un humour au ton savamment ironique. « C’est un trait profond de ce cinéma. Proposer un volet sur les comédies venant d’Uruguay n’est pas arbitraire. On y retrouve toujours cet humour singulier, qui rit de choses pas vraiment drôles. » Avec depuis quelques années une production rare mais toutefois régulière (du genre cinq films par an), le cinéma uruguayen fait partie des curiosités mises en avant par le Cinélatino. « On nous fait parfois le reproche de programmer des films trop compliqués. Mais la fréquentation n’a jamais baissé », assure-t-il.

Avec près de 35000 spectateurs en salles l’an dernier, sans compter ceux présents lors des concerts et/ou des expositions, le festival peut se vanter d’une fréquentation non négligeable pour une ville comme Toulouse. « L’augmentation n’est pas spectaculaire, mais pour un festival dont la programmation est parfois plus « difficile » que celle d’une salle d’art et essai, c’est quand même un beau succès ! » Erick Gonzales insiste sur cet aspect du Cinélatino : « Ce ne serait pas très utile de montrer des films qu’on pourrai voir partout. Nous préférons faire appel à la curiosité des gens. » Une façon d’en revenir encore à une idée politique : « Sans la qualité et l’exigence, il n’y a pas de sens. »

Cinéma en Construction

Première action mise en place par le Cinélatino il y a tout juste dix ans," Cinéma en Construction " est une main tendue vers des films généralement coincés au stade de la post-production. « C’est souvent la phase la plus coûteuse pour un film indépendant » explique Erick Gonzales. Chaque année, en partenariat avec le festival de San Sebastian (Espagne), le Cinélatino sélectionne six films présentés à une centaine de partenaires, distributeurs, exploitants, en France et en Europe, afin de leur permettre de trouver les fonds pour favoriser une sortie. Outre Bonsai, le " Cinéma en Construction " a ainsi contribué à la diffusion en France de 32 films, dont 17 furent sélectionnés au Festival de Cannes. Pour 2012, quatre films sont déjà en sélection aux festivals de Sundance, Rotterdam et Berlin.

Les horaires des séances et l’ensemble de la programmation sont à consulter sur le site du Cinélatino.


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