Bilan du Festival 3 Continents à Nantes

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Intimement liée au contexte social contemporain, la 32e édition du Festival des 3 Continents a, cette année encore, habilement misé sur un cinéma réaliste, témoin du monde et de ses tensions anthropologiques. Retour sur quelques films qui ont marqué la sélection 2010…

Violence et ultra-réalisme

Alors que le public salue unanimement le film du Taiwanais Chung Mong-Hong The Fourth Portrait, le jury décerne la montgolfière d’or à Los Abrazos del Rio de Nicolas Rincon Gille et celle d’argent à Cunchillo de Palo de Renate Costa. Ces trois films ont en commun – et résument en cela une tendance à l’œuvre dans la majorité des films sélectionnés cette année à Nantes – une profonde violence, qu’elle soit verbale, iconoclaste, physique, psychologique. Une violence qui s’immisce dans les moindres pores de la cellule familiale dans The Fourth Portrait, une violence collective, politique et désacralisante dans les deux films sud-américains. Surfant sur la vague d’une conjoncture économique et sociale peu favorable, les cinémas du sud semblent se faire l’explicite artistique d’une atmosphère de crise.

Ainsi, la relation aliénante et plus que jamais stérile de l’homme au travail est-elle un thème fondamental du festival 2010. A ce titre, le premier film de l’Iranien Vahid Vakili Far, Gesher, est particulièrement significatif et réussi. Sorte de huis clos social dans lequel les hommes sont englués dans la réalité d’une exploitation gazière, le film choque par la presque absence de montage. Les plans séquences deviennent les ultimes témoignages du trépalium de ces ouvriers, contraints de dormir dans des brisures de gazoducs, de récurer les toilettes ad nauseam et de se rendre complice d’un PMU humain en plein désert pour gagner de quoi vivre simplement. Ici, l’esthétisme se fait l’écho d’un naturalisme sans concession, dont l’unique objectif est de montrer, révéler, témoigner de la réalité, quitte à choquer la bienséance consensuelle.

Sans doute serait-on plus dubitatif quant au Fossé de l’Hongkongais Wang Bing. Le travail forcé y est la conséquence des purges anti-droitières qui ont touché plusieurs centaines de milliers d’individus en Chine à la fin des années 1950. Pendant près de deux heures, l’on fait face aux souffrances de ces travailleurs – pour la plupart des intellectuels –, forcés de recourir au cannibalisme, de se nourrir de rats et de vomi pour survivre. L’hyper-réalisme atteint ici clairement ses limites, dans le mesure où il se teinte progressivement d’une certaine complaisance faite ad hoc pour arracher les larmes du spectateur avec lequel on joue explicitement sur la mauvaise conscience.

Enfin, il est à noter la violence collective et raciale mise en exergue par le  »docu-fiction » de fin d’études Men on the EdgeFisherman’s diary, d’Auner Faingulernt et Macabit Abramson, anciens étudiants du fameux Sapir College de Sdérot situé à la frontière entre Israël et Gaza. Ce journal de bord retrace avec exhaustivité le quotidien de pêcheurs "arabes" et "juifs" (ils se nomment ainsi tout au long du film), tantôt frères et amis quand le travail est prospère, tantôt opposants cruels quand ce même travail vient à manquer. Étude dialectique et profondément duelle qui conduit à ériger le travail comme principe unificateur, unique fondement social apte à réunir les antagonismes que révèlent hyperboliquement les crises.

L’autre thème qui parcourt à juste titre de nombreux films de la sélection 2010 est la jeunesse, et les différentes modalités dans lesquelles celle-ci vient à s’exprimer en tant que réaction au monde sclérosé des générations antérieures. Si la jeunesse lyrique et poétique semble sacrifiée par l’utilitarisme barbare des adultes dans Man follows birds (de l’Ouzbek Ali Khamraev), elle est révoltée, militante et politisée dans Le Vent (Souleyman Cissé), prête à donner de sa personne pour lutter contre la corruption d’un Mali en proie à la dictature militaire ; enfin, Yellow kid (du Japonais Tetsuya Maniko) donne à voir les tourments et obsessions névrotiques d’une jeunesse incapable de discerner le réel de la fiction, indétermination symbolisée par l’envahissement progressif du manga sur le quotidien d’un jeune boxeur.

Rayon de lumière – et véritable coup de cœur – dans l’austérité d’une sélection parfois psychologiquement difficile, Octubre, des frères péruviens Daniel et Diego Vega, raconte l’imperceptible retour à la vie d’un prêteur sur gage lugubre, Clemente, qui se voit confier l’enfant qu’il a eu avec une prostituée. A l’instar du coucou qui squatte le nid d’autres oiseaux, c’est bientôt toute une petite famille qui débarque chez Clemente, sous l’impulsion de la voisine bigote qui compte bien le séduire en s’occupant de sa fille. Décalages comiques, burlesque, situations absurdes, autant d’éléments qui viennent agréablement dédramatiser une atmosphère festivalière peut-être trop pesante. Dérision et simplicité dont la rareté est regrettable…


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