Bad Luck Banging or Loony Porn

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Fable roumaine contemporaine obscène.

Remarqué lors de la Berlinale 2021, puisque lauréat de l’Ours d’Or, Bad Luck Banging or Loony Porn est un film qui ne passe résolument pas inaperçu. Après avoir remporté l’Ours d’argent du meilleur réalisateur pour Aferim! en 2015, Radu Jude signe cette année son quatorzième long métrage. Notons l’originalité du titre choisi par le réalisateur roumain, « Bad Luck Banging or Loony Porn », que l’on pourrait traduire de façon littérale par « La baise de la malchance ou le porno cinglé ». L’explication de ce dit-titre est donnée ex abrupto ; le film s’ouvre sur les images d’un couple filmant leur sextape, vidéo s’étant malencontreusement retrouvée sur internet. Ensuite, la sobriété de l’affiche du film interpelle : un triangle noir inversé sur fond rose pastel, c’est tout. De cette pseudo sobriété naît la subversivité ; le triangle noir inversé représenté n’est autre que celui cousu sur l’habit des opposés politiques au III Reich, déportés durant la Seconde Guerre Mondiale. Autant de prodromes semblant affirmer une certaine gageure du film : ne s’attendre à rien, être prêt à tout.

De fait, la forme-même de Bad Luck Banging or Loony Pornest singulière dans la mesure où le film est divisé en trois parties, radicalement différentes, toutes nommées. La première partie — où l’on apprend, très rapidement, que la sextape leakée dévoile l’intimité d’une enseignante — s’intitule « Voie à sens unique ». Programme tenu ; le tiers du film figure la marche rapide de cette professeure, Emi — interprétée par Katia Pascariu — qui tente de sauver sa réputation par divers moyens, rencontres. La force de cette partie, semble-t-il, réside sinon dans ses aspects strictement narratifs du moins dans l’atmosphère créée par Radu Jude. De fait, les rues de Bucarest — abondamment capturées par des travellings — interviennent moins comme des décors que comme des véritables forces agissantes dans/sur l’image. Les devantures de magasins, les spots publicitaires, l’omniprésence des marques, du sexe, les bâtiments dégradés auxquels s’ajoutent les bruits de la circulation, les insultes des automobilistes, les bruits de la villes constituent une atmosphère immersive de l’ordre de la vulgarité. Que ce soit par les images filmées ou l’environnement sonore créé, tout semble se dresser contre Emi, qui, épuisée, devra se confronter au tribunal des parents d’élèves. La deuxième partie — « Petit dictionnaire d’anecdotes de signes et de merveille » —marque un tournant dans Bad Luck Banging, puisqu’elle se résume en une succession d’images accompagnée d’une brève description. Images tantôt drôles, parfois loufoques, souvent difficiles et crues. Le réalisateur roumain juxtapose de façon récurrente, dans un montage alterné, deux propos qui semblent a priori n’avoir rien à voir — l’on voit ainsi des images d’archives de la révolution de 1989 accolées avec des motifs publicitaires ou des gags par exemple. Ainsi, Radu Jude déplace, décale, décentre son propos d’une trajectoire rectiligne pour figurer différentes voies annexes. Parfois les commentaires fournis semblent ainsi se déplacer à rebours des images montrées,catalysant ainsi la disruptivité de celles-ci. C’est d’ailleurs dans cette hétérogénéité des images et les interstices ainsi créés — qui ne cessent de mêler le rire à la gène — que « jaillit » l’interrogation sur le statut-même des images montrées. C’est sans doute le caractère non linéaire,   peu narratif, de cette deuxième partie que se situe majoritairement la voix critique, la satire de ce film. Enfin, l’ultime partie de Bad Luck Banging reprend le fil narratif laissé pour le subdiviser en trois fins alternatives. L’heure du procès d’Emi a sonné, et celle-ci se retrouve alors devant des parents d’élèves mi-voyeurs, mi-inquisiteurs. Bien qu’étant masqués (pandémie oblige), ces parents d’élèves crachent leur dégout, leurs jugements moraux absurdes, au visage de l’enseignante livrée en pâture.  Derrières les nombreux arguments énoncés contre Emi, les stigmates d’une Roumanie post-révolution sont révélés — en témoignent les propos conservateurs, fascistes, antisémites assumés. Contre une posture irénique, Radu Jude, développe donc différentes fins à travers le spectre de plusieurs genres — le fantastique, la pièce dramatique, le comique — jouant sans cesse sur le fait que le film vu ne pourrait être en réalité qu’une farce.

Que ce soit par l’aspect disruptif des images, par la farce ou la fable satirique contée,  le polemos semble constitutif du filmer pour le réalisateur roumain. Bad Luck Banging or Loony Porn tisse un propos politique corrosif à partir de différents matériaux (et cela fonctionne). D’une certaine manière, le film est moins divisé que scandé ; chaque partie rythme et conjugue la critique d’un pays, la Roumanie, où le populisme est plus que jamais présent. Qui plus est, la justesse de ce quatorzième long métrage de Radu Jude semble éminemment lié à l’importance du ressort comique, amorcé dès le choix du titre.

 

Titre original : Babardeală cu buclucsau porno balamuc

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Durée : 106 mn


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