Au revoir l’été

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Délice rohmérien, mâtiné d’Ozu, sur les rives du Pacifique dans un Japon désenchanté.

Lors de son passage à Paris pour présenter son film au Forum des Images, le réalisateur, Koji Fukada, a eu des mots modestes qui semblaient dire que son film ne racontait pas grand-chose mais que, après coup, on y repenserait et qu’il ferait un grand chemin dans l’esprit du spectateur. C’est tout à fait le cas. Comme chez Eric Rohmer qui semble être son maître, Au revoir l’été se présente comme une chronique désenchantée. Des membres éloignés d’une famille se retrouvent près de la mer au Japon, dans le village de leur enfance. Le film commence par le plan d’un visage de jeune femme qui sommeille dans un train. On voit le paysage défiler puis, lorsqu’il s’arrête, on découvre deux femmes avec des valises qui arrivent dans ce qui semble une petite ville de province au Japon. Au revoir l’été commence en fait par un bonjour qui en dit long : le konnichiwa de Mikie et de sa nièce Sakuko qui viennent occuper la maison de la sœur de Mikie pendant son déplacement en Europe.

Par petites touches, et c’est ce qui fait sa force, le réalisateur prend le temps de nous montrer les premiers personnages, leur apparente froideur, les coutumes japonaises et le décor ambiant comme la maison, la ruelle, le ciel. Pourtant, dans cette impression de temps suspendu, le spectateur ne ressent aucun ennui, comme s’il attendait l’apparition de ces micro-événements qui font la vitalité de ce film tout en douceur et sensibilité. Comme la vie qui va et s’en va, le film dessine des lignes de force, en apparence anodines mais qui s’avéreront finalement d’une grande puissance, notamment pour faire comprendre les comportements humains et leurs désordres. C’est du reste l’apparition dans le champ de la caméra, dès les premières minutes du film, d’Ukichi, un homme étrange qui fut l’ancien amant de Mikie et qui est là pour accompagner sa sœur à l’aéroport. C’est lui qui retrouve son passeport comme pour faire observer qu’il est à la fois indispensable dans cette coterie qui se met en place, et légèrement envahissant.

 

On finira de le constater quelques plans plus tard lorsque, accompagné de son neveu Takashi réfugié de Fukushima, il rencontrera les deux femmes et leur proposera une promenade à bicyclette qui sera le début d’une série de marivaudages, toujours au bord de la crise de nerfs. Entre Pauline à la plage (1983), Conte d’été (1996) et Le genou de Claire (1970), le film de Koji Fukada navigue joliment sur les errements des sentiments puisqu’on assiste, d’une part, à des échanges amoureux entre Mikie et Ukichi qui, en fait, tient un love hotel avec son neveu sans vraiment vouloir l’avouer ; et d’autre part Sakuko et Takashi – jusqu’à ce que la fille d’Ukichi, au tempérament volcanique, vienne s’éprendre du professeur d’université que Mikie avait invité pour passer le temps et qui s’avère être un goujat Dom Juan. Venues toutes les deux dans cette maison pour travailler, qui à sa traduction, qui à ses révisions pour entrer à l’université, les deux Tokyoïtes, Mikie et Sakuko, y retrouveront à la fois le goût de l’amour et de la désillusion. L’une rentre (à Tokyo) et l’autre pas, comme si le film ne finissait pas, laissant toute la place à la vie. Décidément, le cinéma japonais depuis Ozu, qui laisse ici aussi son empreinte, n’en finit pas de nous étonner, à la manière par exemple de Still the Water (2014) de Naomi Kawase, sans les chamans mais tout aussi puissant, diffusant mine de rien un air de mélancolie de fin d’été dans une situation qui aurait pu n’être que banale.
 

Titre original : Au revoir l'été

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Durée : 125 mn


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