Annalisa

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Au-delà de ses facilités, « Annalisa » parvient à distiller un certain trouble, mais aurait gagné à sortir davantage des sentiers battus.

Au centre du film rayonne une jeune femme énigmatique, maniaco-dépressive, à la beauté sculpturale et un peu androgyne, dont le prénom, Annalisa, rime avec Mona Lisa. Une icône ? Oui, du moins pour Veleno et Zazà, les deux garçons fascinés et un peu gourds que cette rencontre marquera au fer rouge. Pippo Mezzapesa part de ce triangle de personnages pour agencer son premier long métrage, récit d’initiation adolescente sur fond de désirs contrariés et d’amitié, mêlé à une radioscopie sociale.

Le film a pour cadre le sud de l’Italie des années 1980. L’industrialisation brutale a métamorphosé le paysage. Des visions de cheminées d’usine essaiment le film, prétextes à quelques beaux plans crépusculaires, presque apocalyptiques, en écho, sans doute, à l’injustice sociale qui gangrène le pays. C’est dans ce contexte que se noue une histoire d’amitié entre deux adolescents très différents, Veleno et Zazà. Ce dernier, issu d’un milieu populaire, est sur le point de sombrer dans la petite délinquance, mais peut-être son talent de footballeur le mènera-t-il un jour à la Juventus de Turin. Veleno, lui, a grandi dans une famille aisée. Soucieux d’en découdre avec son étouffant cocon bourgeois, il est prêt à tout pour intégrer l’équipe de foot locale dont Zazà est le fer de lance.

Pesanteurs

Le film semble placé sous le signe de la pesanteur. Celle de l’atavisme social, des drames du passé, mais aussi celle, plus littérale, de la gravité terrestre. Ainsi des scènes nous introduisant Veleno et Annalisa : lui, pendu la tête en bas à un arbre, à l’occasion d’un bizutage cruel qui ouvre le film ; elle, se promenant sur les toits, prête à faire le grand saut, créature faussement angélique dont la tentative de suicide est filmée du point de vue des jeunes garçons, simples spectateurs hypnotisés comme devant un rêve diaphane ou un spot publicitaire. Cette impuissance ahurie des adolescents illustre l’imaginaire latin très cliché qui irrigue le film, procédant d’une vision au fond puritaine, angoissée de la femme : soit Mère ou Vierge, dont on découpe des photos pour l’iconiser, soit traînée, comme dans la vidéo porno devant laquelle se masturbe, en chœur, le groupe de copains.

 

Le regard du cinéaste épouse ce biais adolescent, avec ironie parfois, mais sans prendre la hauteur qui mettrait en perspective le monde intérieur de ses personnages, que ce soit pour déconstruire leurs illusions et leurs fantasmes ou pour exalter la beauté ambiguë de leurs rêves. C’est que la mise en scène, toute dynamique qu’elle soit, leste le film ; les images clinquantes et soigneusement cadrées ne ménagent guère de tremblé, de respiration aux images, si bien qu’Annalisa n’atteint jamais la grâce capiteuse du film de ragazzi néo-pasolinien dont on entrevoit pourtant de temps à autre la possibilité.

Cela dit, le film se délivre de ses pesanteurs lorsqu’il adjoint Annalisa au duo formé par Veleno et Zazà. Les silences, les regards distillent un trouble croissant, jusqu’à l’acmé des dernières séquences portées par une musique d’Angelo Cortelli. À la fois fulgurante et elliptique, cette conclusion produit une réelle émotion : c’est que le film paraît alors plus fragile, moins programmé, et décolle de sa trivialité sans prise de risque pour oser s’abandonner à une exaltation désemparée de l’amitié et de l’amour. Dans cette ultime spirale émotionnelle, le caractère léché de la mise en scène paraît moins gratuit et l’œuvre assume enfin sa sensibilité éperdue, jusque-là réfrénée comme par peur du ridicule. Un vertige nous saisit, mâtiné d’un regret, un seul : qu’à l’image de ses adolescents fanfarons mais paumés, le film ait mis tellement de temps à faire sa mue.
 

Titre original : Il paese delle spose infelici

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Durée : 82 mn


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