Allons voir au-delà d’Almodovar – Un Artiste peut en cacher bien d’autres

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Le succès incontestable de Pedro Almodovar (notamment en France, où il est adulé par la critique et les spectateurs) et l´internationalisation de quelques grands acteurs espagnols ces dernières années (on pense évidemment à Pénélope Cruz et au tout fraîchement oscarisé Javier Bardem) a peut-être éclipsé un phénomène nouveau pour le cinéma ibérique : de plus en plus de films s´exportent à l´étranger.

Il n’est plus inhabituel de voir les productions du pays voisin occuper une bonne place dans les salles françaises. Et pour cause, au moment où l’on parle ici de la crise du cinéma national, il est indéniable que le septième art espagnol se porte bien, en tout cas en termes de quantité de films produits. Si l’on excepte un bon nombre de films co-produits par des pays différents mais dirigés par un espagnol, comme beaucoup de productions de Alex de la Iglesia, dont le tout récent Crimes à Oxford et le populaire Un crime farpait.

Les salles françaises proposent en outre beaucoup de nouveautés venues de l’autre côté des Pyrénées : Mataharis, Les sept Vierges , L’Orphelinat (sorti il y a quelques semaines), Rec cette semaine, ou bientôt Dans la ville de Sylvia … Il semble ainsi que le marché se soit modifié ces dernières années, et que l’Espagne a désormais cessé d’être uniquement un pays consommateur, pour devenir un producteur de cinéma. Les chiffres sont assez significatifs sur ce point : selon le CNC, l’Espagne ne cesse d’augmenter le nombre de long-métrages qu’elle produit, et a presque doublé la quantité entre 1999 (82) et 2006 (150). Les recettes et les nombres d’écrans ont eux aussi connu une forte hausse. Pour la grande majorité de ces statistiques, l’Espagne se situe devant l’Angleterre et l’Allemagne (des cinématographies relativement faibles) mais, surtout, devant l’Italie, une référence du septième art européen.

Toutefois, ce boom n’est pas qu’une question de chiffres et de quantité : il s’agit davantage ici de qualité, le cinéma espagnol ayant su se diversifier de manière étonnante, et ne pas tomber dans les « dangers » d’une image stéréotypée qui exporterait de l’Almodovar de seconde catégorie. Un humour bien à lui, des histoires quotidiennes proches et bien ficelées, un cinéma d’épouvante très efficace et quelques grands créateurs dans l’ombre du maestro castillan, sont quelques clés de ce succès.
Ainsi l’Espagne a-t-elle emprunté une des formules qui a le plus réussi au cinéma français ces dernières années : la superproduction humoristique. Evidemment, chaque humour a ses caractéristiques et l’investissement n’est pas toujours aussi fabuleux que pour les sagas d’Astérix ou de Taxi, mais le cinéma espagnol a amassé ces dernières années de gros revenus grâce à ce nouveau genre. Pour certains films (comme la sagas de Torrente ou les héros de BD Mortadelo y Filemon) un style d’humour autochtone a fait que le triomphe fut plutôt national. Pourtant, d’autres créations, comme Un crime farpait, ont connu un bon accueil en France.

En plus de l’humour, le cinéma espagnol s’est aussi caractérisé ces derniers temps par la qualité de ses œuvres de suspense ou d’épouvante. Sa production cinématographique est devenue une référence en la matière grâce au fragile équilibre qu’elle a trouvé entre les grosses productions multinationales, comme les récents Labyrinthe de Pan (avec son casting relativement riche, et une partie de la production d’origine espagnole, même si le directeur, Guillermo del Toro, est mexicain) ou L’orphelinat ; et les produits moins commerciaux mais de grand mérite, comme Rec.
Le réalisateur de ce dernier film, Jaume Balaguero, est d’ailleurs représentatif d’une nouvelle génération de cinéastes et cinéphiles, maîtres des techniques cinématographiques classiques, et qui connaissent aujourd’hui une belle réussite. Le chef de file de ce mouvement demeure Alejandro Amenabar qui, après trois long-métrages marqués par le suspens (dont le second Abre los Ojos donna lieu à Vanilla Sky, la reprise américaine interprétée par Tom Cruise notamment), a connu un grand triomphe avec Mar Adentro, Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2004.

Un beau panorama se dessine donc, derrière la figure imposante de l’ultra médiatique Almodovar. Un de ceux qui vivent dans l’ombre du réalisateur castillan mais qui mériteraient sans doute davantage de "visibilité", est Julio Medem. En France, c’est dans Lucia y el sexo que l’on a découvert son monde onirique et féerique, une sorte de fable postmoderne et mystique. Il est vrai que ses œuvres sont d’un accès plus complexe, mais on se laisse souvent bercer par sa beauté et ses belles inventions formelles. On attend dans les salles, pour les semaines prochaines, son dernier opus Caotica Ana. Dans le sillage de ce cinéma plus intime et personnel, s’inscrivent aussi de belles réussites d’art plus réaliste et, quelquefois, dramatique. On pense à Isabel Coixet qui a réussi à être une des réalisatrices du polyphonique Paris Je t’aime grâce au bon accueil réservé à ses films précédents, Ma vie sans moi et The secret life of words. Mais c’est surtout Fernando Léon de Aranoa qui, avec une très fine pointe d’humour dans les situations les plus compliquées, excelle dans le genre. Toutes ses œuvres sont des incursions poétiques et justes dans la vie quotidienne de l’Espagne moderne : Familia, basée sur les problèmes de famille, Barrio, réflexion sur le nouveau phénomène des banlieues dans le pays ibérique, Los lunes al sol, ou comment contrecarrer les difficultés du chômage et Princesas, traitant du monde de la prostitution.

N’oublions pas l’apparition ces dernières années de plusieurs films remarqués dans les circuits moins fréquentés. Ainsi, les documentaires de José Luis Guerin (qui va sortir dans quelques semaines en France son nouveau film Dans la ville de Sylvia), les créations intimes et profondes de Marc Récha, dont Pau et son frère, présenté en compétition dans la Sélection officielle du Festival de Cannes en 2001, et le plus récent Honor de Cavalleria, de Albert Serra, qui faisait partie de la sélection officielle lors de la 38ème édition de la Quinzaine des Réalisateurs au festival de Cannes 2006.

Il apparaît ainsi que, même si les spécialistes, comme presque partout ailleurs, parlent d’une crise du cinéma en Espagne, il existe pourtant de nombreux réalisateurs intéressants et suffisemment solides pour succéder à Pedro Almodovar. Une cinématographie multiple et complexe qui réussit à marier assez bien les genres que les sensibilités esthétiques. Pour le public français, le débarquement, ces derniers temps, d’une multitude de films espagnols, est l’occasion de découvrir cette richesse cinématoraphique plutôt méconnue. N’oublions pas que l’Espagne est le pays qui a remporté le plus d’Oscars du meilleur film en langue étrangère ces derniers 15 ans (trois statuettes exactement). Ce n’est plus un hasard.


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