61e Berlinale : parcours hors-piste du journaliste Ali Baba

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Cette année encore, on regrettera l´académisme rébarbatif de la compétition officielle. Heureusement, le festival de Berlin sait encore surprendre grâce aux trésors enfouis dans ses sections parallèles.

Dix jours à affronter un froid polaire et à se sustenter de "Dunkin donuts" et de bière blanche. Tout ça pourquoi ? S’il fallait se contenter de la Berlinale "officielle", le jeu n’en vaudrait pas vraiment la chandelle. La 61e édition qui vient de s’achever n’a pas franchement rassuré les professionnels – journalistes cinéma et acheteurs du marché – qui s’inquiètent depuis deux ans au moins de l’avenir d’un festival de plus en plus académique.

L’Ours d’or a ainsi consacré le magnifique mais très classique Nader et Simin, une séparation, de l’iranien Asghar Faradi (Ours d’argent du meilleur réalisateur en 2009 avec A propos d’Elly). Avant même sa projection à la presse, le film avait été "élu" par les critiques, sans doute portés par un vent de révolte venu du Maghreb et par les messages de soutien quotidiens au cinéaste Jafar Panahi. Condamné à six ans de prison et à vingt ans d’interdiction de tourner par le régime iranien, le réalisateur avait symboliquement été nommé membre du jury présidé par Isabella Rossellini. Si ce prix est clairement politique, il n’en est pas moins mérité, les autres films de la compétition se situant loin derrière, à une exception près : le majestueux mais terriblement austère Cheval de Turin, du revenant hongrois Béla Tarr.

Quelques déceptions donc, et pourtant on ne s’est pas ennuyé : le festival de Berlin est une caverne d’Ali Baba pour qui a le courage de fouiner dans ses sections parallèles. En particulier le Forum (45 films) et le Panorama (49 films). (Sans compter, pour les temps morts, une sublime rétrospective consacrée à Bergman.)

Divorces en série

A Berlin, les lunes de miel prennent fin. Suivant l’exemple de Nader et Simin, Sophie et Jason, les apathiques trentenaires du joli The Future, de Miranda July, envisagent d’adopter un chat malade pour redonner du peps à leur couple qui n’a jamais vraiment décollé. Dans le trop long et lent Come Rain, Come Shine, du coréen Lee Yoon-ki, un homme et une femme étonnement jeunes pour s’ennuyer dans un triplex aussi luxueux, attendent la fin d’une averse pour se séparer à jamais.

Pour les histoires qui finissent bien, mieux vaut lorgner chez les ados. Submarine, premier long métrage de Richard Ayoade (en salles le 13 juillet), est l’une des révélations du festival. Craig Roberts y incarne Oliver, 15 ans, un gamin comme tous les autres — amoureux, largué par la complexité féminine et dégoûté par la bêtise adulte — mais qui y fait face avec une imagination un peu trop débordante. Un petit bijou de poésie, de finesse et d’humour british.

Têtes blondes et têtes à claques

L’autre bonne surprise nous vient de France : après le bouleversant Naissance des pieuvres, Céline Sciamma confirme son talent sensible avec Tomboy (en salles le 20 avril), histoire d’une petite fille (Zoé Héran) se faisant passer pour un garçon et que pour rien au monde on aurait voulu voir confier à d’autres mains.

 

The Prize
, récit partiellement autobiographique de Paula Markovitch, raconte en creux les heures les plus sombres de la dictature argentine. Fuyant le régime, l’héroïne et sa mère vivent recluses dans une cabane au bord de l’eau, jusqu’à ce que l’enfant insiste pour aller l’école… Souvent maladroit et répétitif, ce premier film laisse néanmoins un agréable goût de sel et de sable que l’on doit à l’incroyable petite actrice, Paula Galinelli Hertzog, dont le jeu sincère et nuancé étonne.

On aurait aimé que SJ Clarkson fasse preuve d’autant de finesse pour raconter dans Toast l’histoire vraie du chef anglais Nigel Slater (Freddie Highmore, assez agaçant dans le film), dont l’ascension en cuisine fut semée de terribles embûches (parents amateurs de conserves, belle-mère cordon bleu mais atrocement jalouse interprétée par Helena Bonham Carter…).

Toast aura au moins eu le mérite d’ouvrir l’appétit du public, la Berlinale ayant eu l’excellente idée de le programmer dans le cadre d’une session "Cinéma culinaire" (Culinary cinema, 5e édition). Douze films abordant les thématiques de la nourriture et de l’environnement avaient été sélectionnés, le plus convaincant étant le documentaire Jiro Dreams of Sushi, de David Gelb.

Nouvelle vague documentaire

A Berlin, la fiction patine, mais le documentaire se porte bien et ce sont deux maîtres du Nouveau cinéma allemand, Wim Wenders et Werner Herzog, qui nous en ont convaincu. Le premier avec le sublime Pina, consacré à la défunte chorégraphe. Le second avec l’étonnant Cave of Forgotten Dreams, passionnante exploration de la grotte Chauvet, en Ardèche, et de ses trésors paléolithique. Leurs deux films sont en 3D et rarement on avait vu l’exploitation du relief mise au service de la mise en scène avec autant d’intelligence (oui, on a vu Avatar).

A noter au passage, un incroyable documentaire salé-sucré (en 2D) : The Bengali detective. Durant des mois, le britannique Philip Cox a suivi les enquêtes improbables du meilleur détective de Kolkata. Rajesh Ji traque meurtriers, petits voleurs et maris infidèles le jour. Le soir, il est un père de famille modèle et l’époux aimant d’une femme mourante. Le week-end, il s’entraîne avec son équipe de fins limiers pour l’équivalent bollywoodien de la Star Ac’. Rajesh est un héros "bigger than life" comme on en croise trop peu. Sauf à Berlin.

Palmarès du 61e Festival de Berlin :

– Ours d’or du meilleur film : Nader et Simin, une séparation d’Asghar Farhadi
– Grand Prix du jury : Le Cheval de Turin de Bela Tarr
– Ours d’argent du meilleur réalisateur : Ulrich Köhler pour Schlafkrankheit (La Maladie du sommeil)
– Ours d’argent de la Meilleure actrice : l’ensemble des actrices de Nader et Simin, une séparation
– Ours d’argent du Meilleur acteur : l’ensemble des acteurs de Nader et Simin, une séparation
– Ours d’argent du meilleur scénario : The Forgiveness Of Blood par Joshua Marston et Andamion Murataj
– Ours d’argent pour une contribution artistique exceptionnelle : Wojciech Staron (meilleure photographie) et Barbara Enriquez (meilleure direction artistique), tous deux pour El Premio de Paula Markovitch
– Meilleur premier film : On the Ice de Andrew Okpeaha MacLean
– Prix de l’innovation (Prix Alfred Bauer) : Wer wenn nicht wir (If Not Us, Who) d’Andres Veiel
– Ours d’or du meilleur court métrage : Night Fishing de Park Chan-Wook et Park Chan-Kyong
– Ours d’argent du court métrage, prix du jury : Broken Night de Yang Hyo-joo
– Mention spéciale du court métrage : Fragen an meinen Vater de Konrad Mühe
– Prix Fipresci : The Turin Horse (Béla Tarr) ; Dernier étage gauche gauche (Angelo Cianci) ; Heaven’s Story (Zeze Takahisa)
 


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