4e Rencontres internationales du cinéma de Patrimoine de Vincennes

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La ville de Vincennes aime le cinéma et elle l´a encore prouvé lors de ses 4e Rencontres internationales du cinéma de patrimoine, qui se sont tenues du 29 janvier au 2 février 2009. Au coeur de la programmation : l´Histoire. Celle dont les pages sont tournées et qui abreuvent toujours le cinéma, et celle dont les lignes s´écrivent encore.

Animés par l’historien du cinéma Lionel Tardif, les séances et débats de ces 4e Rencontres internationales du cinéma de patrimoine ont mis en évidence les corrélations entre Histoire et histoire. Tout d’abord, les cinéastes qui ont marqué l’Histoire du cinéma ont été célébrés, tels que Jacques Demy, à travers Lola (1961), film d’ouverture de ces Rencontres, marqué par la présence d’Anouk Aimée ; Joseph Mankiewicz et La Comtesse aux pieds nus (1954), Alfred Hitchcock avec Pas de printemps pour Marnie (1964), ou encore le réalisateur indien Satyajit Ray et le sublime Salon de musique (1958), et le cinéaste brésilien Glauber Rocha et son Antonio Das Mortes (1969). 2009 étant l’année de la France au Brésil, les 4e Rencontres ont également rendu un hommage vibrant et dansant à la Cinémathèque brésilienne, en présence de sa directrice Olga Futemma, avec la projection de films tels que Orfeu Negro (1959) de Marcel Camus, ou La parole donnée d’Anselmo Duarte, Palme d’or de Cannes en 1962.
 

     

Les spectateurs ont aussi pu remonter le fil des projections de jadis grâce aux deux superbes ciné-concerts. L’organiste belge Firmin Decerf a donné à la locomotive de Buster Keaton toute sa présence tubulaire, et aux gags du maître du burlesque toute leur intensité comique, dans Le Mécano de la générale (1927). Et les 34 élèves du Conservatoire de Vincennes ont lâché leurs notes décalées sous la baguette du compositeur Christofer Bjurström, sur les images du désopilant Cauchemars et superstitions (1919) de Victor Fleming. La diffusion de tels films du début du XXe siècle posait évidemment la question de l’archivage. Et parce que la conservation et la diffusion de films de patrimoine sont un enjeu fondamental, une table ronde a réuni les acteurs de la restauration et de la conservation, confrontés aux affres du temps. On pouvait y apprendre que le doute subsiste encore quant à l’espérance de vie de supports numériques de conservation.
 

     

Des expositions périphériques permettaient également de faire un bond dans l’Histoire primitive du cinéma. L’exposition « Sport, science et photographie » consacrée à George Demenÿ, ancien collaborateur d’Etienne-Jules Marey et inventeur du phonoscope et du chronophotographe, présentait 24 chronophotographies décomposant les mouvements des athlètes de l’Ecole de gymnastique et d’escrime de Joinville. Une installation vidéo complétait l’exposition : le film Apparition proposait une (ré)animation de 34 séries de clichés destinés originellement au phonoscope. On pouvait y voir un tour de magie, un combat entre boxeurs, les exercices d’une danseuse, ou un joueur de bilboquet comme autant de parenthèses enchantées. En outre, le public pouvait admirer les gigantesques panneaux peints issus de la Collection Publidécor, des affiches originelles de films tels que La tulipe noire de Christian-Jacque, Les vacances de Mr. Hulot de Jacques Tati ou encore Le quai des brumes de Marcel Carné, disséminés un peu partout dans les lieux du festival. Par ailleurs, les images d’archives de la Grande Guerre étaient aussi à l’affiche de ses 4ème Rencontres, à travers des films tels que Les enfants de France pendant la guerre (1918), ou Le Film de poilu (1928) d’Henri Desfontaines, ou à travers les expositions du Château de Vincennes et du Cœur de ville, qui proposent encore et ce, jusqu’au 14 février 2009, des autochromes de 1917 et une « Promenade dans le Paris de la Grande Guerre ».

  

Il en est un qui a largement écrit les pages de l’Histoire du cinéma français : Jacques Tati. La Master class animée par Maurice Bunio, Daniel Tardy et André Pierdel, l’accessoiriste attitré de Tati, était à la hauteur de l’annonce. Le public a pu découvrir en avant-première, les images de la Scénovision de Sainte-Sévère (village rendu célèbre par Jour de fête), qui ouvrira ses portes le 4 avril 2009. Le concept, réalisée par Tardy et Bunio, consiste à immerger le visiteur dans un lieu par une mise en scène, les décors du film, des bandes sonores et des effets spéciaux (www.maisondejourdefete.com). Aussi, les anecdotes de tournage de Pierdel l’intarissable ou comment réaliser un trucage avec deux bouts de ficelle, ont captivé l’audience. On pouvait apprendre que la scène du vélo qui prend la tangente tout seul dans Jour de fête a été réalisée sans trucage. Pierdel livre ses secrets : il avait dégonflé les pneus et graissé le guidon. Derrière les ouvertures et fermetures automatiques de Playtime se cachaient les fils transparents et les vis pythons de l’ingénieux accessoiriste. Des images inédites, conservées aux archives de Bois d’Arcy, montraient également Tati le clap à la main sur le tournage de Jour de fête, ou déambulant discrètement parmi la foule de figurants un peu trop statiques à son goût. Enfin, le public a pu découvrir les images jamais diffusées (Tati lui-même ne les aurait jamais vues) de la remise de l’Oscar du Meilleur film étranger en 1958 pour Mon oncle, et de son discours particulièrement émouvant à l’évocation de Chaplin et Keaton, sans qui il n’aurait jamais fait ce métier.

  

L’Histoire a toujours inspiré le cinéma. Depuis L’Assassinat du Duc de Guise (1908) jusqu’au récent Hunger de Steve McQueen, l’Histoire fournit inlassablement aux réalisateurs la matière filmique dont ils ont besoin. Sous le titre un peu racoleur de « La véritable histoire de l’Histoire », s’est tenue une Table ronde exceptionnelle réunissant les réalisateurs Yves Boisset, Ken Loach, Oles Yanchuk et Didier Martiny (dont les films Famine 33 (1991) et Qui a tué Massoud ? (2004) ont été projetés durant ces Rencontres). Ils ont en commun d’avoir revisité l’Histoire et ses épisodes douloureux. Les notions de subjectivité, de vérité y ont été abordées avec justesse et finesse. Les langues se sont très vite déliées à l’évocation de la censure, de l’incapacité à trouver les financements nécessaires pour faire un film qui « dérange », ou des attaques adressées aux réalisateurs qui ont eu le courage de toucher là où ça faisait mal. Ainsi, Yves Boisset est intervenu avec vigueur en dénonçant un « cinéma français d’un silence assourdissant », aussitôt applaudi par l’audience, et lançait une phrase qui marquera définitivement ces 4e Rencontres internationales : «Le cinéma est un petit caillou dans le mur de la vérité».

  

De gauche à droite : Didier Martiny, Yves Boisset, Jean-Antonin Billard et Ken Loach

 

Palmarès

Cette 4e édition s’est terminée par la remise de 12 Prix Henri Langlois décernés à :

–  Ken Loach, invité d’honneur du festival. Très ému, le réalisateur en a profité pour souligner l’importance de la mobilisation et de la défense du cinéma européen, et remercier chaleureusement le public français pour l’accueil toujours généreux qu’il offre à ses films.

–  Anouk Aimée, qui a déclaré avec émotion : "J’ai eu beaucoup de chance, j’ai connu de grands metteurs en scène."

–  Michel Bouquet, qui a confié : "C’est grâce à Henri Langlois si j’ai pu comprendre ce qu’était le vrai, le grand cinéma." Le prix lui a été remis par la jeune comédienne Salomé Stévenin.

–  Theo Angelopoulos, cinéaste grec. N’ayant pu se déplacer pour raison de santé, son prix a été reçu par son ami et chef opérateur Yorgos Arvanitis.

Au cours de la cérémonie, trois Prix Henri Langlois d’honneur ont également été remis à :

–  Claude Lelouch, qui a rappelé combien Henri Langlois avait compté pour lui puisqu’il l’avait aidé à se lancer et l’avait soutenu face à la critique. Il en a profité aussi pour parler de l’ARP (qui a reçu un Prix Henri Langlois vendredi 30 janvier), et évoquer le souvenir de Claude Berri. Son prix lui a été remis par la jeune comédienne Sara Forestier.

–  Agnès Varda, qui a raconté avec émotion et tendresse quelques anecdotes partagées avec Henri Langlois.

–  Claude Bolling, musicien et compositeur de musiques de film, pour l’ensemble de sa carrière et à l’occasion du Centenaire de la musique de film.

Cette 4e édition a vu l’apparition de trois nouveaux prix :

–  Le 1er Prix Henri Langlois de l’écriture : remis à Yasmina Reza, auteur, et Didier Martiny, réalisateur, pour leur collaboration artistique dans l’adaptation de l’oeuvre de Yasmina Reza à l’écran.

–  Le 1er Prix Henri Langlois européen : remis à Oles Yanchuk, réalisateur ukrainien, pour les qualités exceptionnelles et fondamentales d’humanisme défendues et promues dans son film Famine 33.

–  Le 1er Prix Henri Langlois Révélation : remis à Maïwenn, actrice et réalisatrice. Emue de recevoir ce prix des mains de Ken Loach, elle s’est jetée à ses pieds en criant qu’il était "le meilleur" et a remercié Claude Lelouch pour l’écoute et le soutien qu’il lui avait apportés lors de son passage à la réalisation.

L’association Henri Langlois a souhaité également remettre un Trophée Coup de Coeur à Ronit et Schlomi Elkabetz, réalisateurs israéliens, pour leur film Les 7 Jours. Ronit Elkabetz a tenu à souligner que c’est justement "à travers les films de patrimoine que j’ai appris que je voulais faire partie de ce monde-là."

Enfin, la Cinémathèque du Brésil, en la personne d’Olga Futemma, sa directrice, s’est vue remettre un Prix Henri Langlois.

Soirée de clôture des 4e Rencontres internationales du cinéma de Patrimoine de Vincennes :
http://clubthoura.com/ricpvincennes/?p=1474


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