C’est à cette épineuse question que tente de répondre Spider-Man : Far From Home, où le jeune Peter Parker figure l’héritier moral de feu Iron-Man.
Une mise en abyme du genre
Le visage du regretté Tony Stark hante les murs des villes terrestres, du New York où étudie Peter (Tom Holland) au Vieux Continent où sa classe se rend en voyage scolaire. On pourrait craindre que le MCU cultive la fibre nostalgique et préfère regarder en arrière plutôt qu’avancer vers un autre super-héroïsme que celui qu’incarnait le milliardaire philanthrope. Si la première partie du film cherche l’héritage de ce dernier au travers du personnage de Mysterio (Jake Gyllenhaal), en qui le naïf Spider-Man, qui souhaite mettre en pause son engagement héroïque pour se consacrer à sa romance avec Mary-Jane (Zendaya), croit voir la nouvelle figure de proue des Avengers, la seconde moitié dément son idéalisme juvénile. Et surtout, met en crise les ressorts du film de super-héros.
L’une des forces des studios Marvel, depuis le lancement du MCU en 2008, a toujours été d’intégrer les critiques faites aux blockbusters hollywoodiens, puis à leurs propres films, (en termes de représentations des minorités, de manichéisme, de lourdeur de la mise en scène, etc.) pour mieux en détourner les codes. Spider-Man : Far From Home démontre encore une fois leur intelligence tactique. Comme bien souvent dans le genre, c’est l’antagoniste qui tient le discours le plus cohérent, a fortiori lorsque Spider-Man tente tant bien que mal de concilier super-héroïsme et vie amoureuse. Mysterio, d’abord allié de circonstance puis villain lorsqu’il révèle enfin son plan, s’avère maître ès illusions. Comme un certain cinéma, très porté sur les effets spéciaux, d’où sort ce même film…
Comment ne pas voir dans les hallucinations dont se sert Mysterio pour duper ses adversaires une mise en abyme de l’industrie hollywoodienne des effets spéciaux, à laquelle appartient pleinement le MCU ? Montant de toutes pièces des visions monstrueuses gigantesques aux moyens de machines hautement sophistiquées, de fonds verts et d’une équipe de techniciens dévoués corps et âme à la manipulation du réel, le nouveau villain sert de relais, dans la diégèse, au réalisateur Jon Watts, au travail assez similaire.
Technomagie, animation et super-héros
Ce faisant, faire de Mysterio un prestidigitateur de talent explicite la relation qu’entretient Marvel à la fameuse « magie du cinéma ». Le concept de technomagie la qualifie au mieux : on croit voir de la magie, parce qu’on ne voit pas – ou ne comprend pas – la technologie qui en produit les tours. À la différence de Doctor Strange qui se complaisait dans les illusions visuelles et les tours de passe-passe, Spider-Man : Far From Home brise métaphoriquement le quatrième mur pour dévoiler les rouages de l’industrie de la magie. Celle-ci, comme l’industrie des armements que possédait Tony Stark et que Mysterio récupère à son compte, n’est pas exempte de critiques. Le cinéma hollywoodien et les illusions qu’il produit agit comme une arme : en dupant les esprits des spectateurs, il assoit le pouvoir légitime de quelques prestidigitateurs tapis dans l’ombre.
Lors d’une communication au colloque « Les super-héros dans le cinéma hollywoodien contemporain : innovations esthétiques et transmédialités » en mai dernier à l’université Lyon-2, le théoricien du cinéma de super-héros Dick Tomasovic proposait de considérer le genre comme un hybride entre prises de vues réelles et séquences animées. Il prenait exemple sur l’usage de la Pierre de Réalité (au nom très orwellien) par Thanos dans Avengers : Infinity War. On pourrait à notre tour envisager Spider-Man : Far From Home comme une mise en abyme du caractère animé du genre, revendiqué par les créateurs-mêmes comme composante stylistique essentielle.
Loin d’être tourné vers le passé et la mélancolie (ton qui sied davantage à Avengers : Endgame), Spider-Man : Far From Home fonctionne comme une œuvre charnière au sein du MCU. Elle clôt le premier cycle, centré autour de l’industriel Tony Stark, et ouvre des perspectives vers l’avenir, déjà bien tracées en termes d’une meilleure représentation des minorités par Endgame.