L’atelier et la fiction
Une fois quitté le territoire enneigé du jeu vidéo, le film se pose à La Ciotat, à l’heure d’été. Olivia (Marina Foïs), une romancière de polar, est chargée d’animer un groupe d’écriture pour jeunes en insertion de la région. Ce petit groupe de garçons et de filles aura pour objectif final d’écrire collectivement un roman policier à l’aide des conseils d’Olivia. L’atelier se donne d’emblée comme un espace d’échanges et de circulation de la parole, une circulation d’idées et d’opinions, les plus spontanées et libres, articulées au motif de la fiction (celui de réfléchir à la raison du meurtre dans le dit roman policier, de trouver le décor du récit, …). Cette occasion de fiction va servir de miroir réfléchissant aux jeunes, comme à la romancière. Dès lors, la fiction paraît bien plus servir la complexe expression et (ré)invention de/d’un soi, qu’être un instrument de compréhension du réel. Ainsi, si une partie du groupe approuve l’idée d’Olivia, d’inscrire le cadre du roman policier dans les lieux de l’ancien chantier naval de la Ciotat, Antoine (Matthieu Lucci) rejettera sans équivoque cette proposition pour la raison qu’il s’agit de son territoire de vie, et ce qu’il ressent comme la délimitation d’un monde et de ses possibles.
L’atelier et les impensés
Le personnage d’Antoine, « l’élément perturbateur » du groupe, joué avec incarnation par Matthieu Lucci (sélectionné lors d’un casting sauvage, comme les autres jeunes du film), permet au réalisateur de créer la voix de tous les impensés que cherche à mettre au jour L’Atelier, comme de les explorer par le biais de ce personnage retors résistant à tout consensus, ambivalent. A son habitude, Laurent Cantet cherche à aborder (de façon parfois didactique ici) des sujets politiques et d’actualité importants : des fractures sociales (des « gens comme vous » dira-t-on à Olivia, pointant ses affects de classe) comme des attentats et de l’islamisme radical qui impactent la société française et ses représentations. Ce mérite de chercher à s’emparer, d’une manière discursive et frontale, de tels sujets échoue dans les limites mêmes qu’il ne cherche pas à dépasser dans ce dispositif. La liberté de parole présente aussi ses exigences, qui ne sont pas totalement tenues ici. Au moment où les situations, les échanges, se rapprochent d’une forme de saillie, que les personnages sont poussés dans leurs retranchements, le film se ravise et le cinéaste ne fait qu’affleurer les points de tension des sujets complexes et déroutants qu’il donnait l’impression de vouloir confronter (à ce titre, la relation ambiguë qui se noue entre Antoine et Olivia s’achève dans ce drôle de recul du réalisateur). L’Atelier apparaît alors trop précautionneux par rapport au contenu politique, existentielle et sociale dont il s’empare. Laurent Cantet produit néanmoins suffisamment de matière pour susciter le questionnement, notamment cette interrogation, qui pourrait surgir au détour d’un jeu vidéo, aux prises avec l’avatar d’un chevalier errant seul dans la neige, et qui terminait son film Ressources humaines (1999) : « et toi, elle est où ta place ? ».